jeudi 1 septembre 2011

Plumes et Astuces

Improvisation VS organisation

Se lancer dans la rédaction d’une histoire, ce n’est pas sorcier. On a une chouette idée en tête, on tapote fébrilement son clavier, les personnages s’animent déjà sous nos yeux émerveillés, tout paraît couler de source. Passées les premières pages, c’est généralement là que les choses se corsent. Quelle direction la narration va-t-elle prendre ? Quelle évolution les personnages vont-ils suivre ? Comment retenir l’intérêt du lecteur tout au long du roman ? Deux choix s’offrent alors à l’auteur : il improvise à mesure que l’inspiration vient au risque d’accumuler les incohérences ou il s’enferme dans le canevas d’un plan détaillé au risque d’y perdre tout plaisir.

Certains ne surmontent pas ce dilemme. Ils accumulent des débuts d’histoire et franchi un certain cap, ça bloque. Il n’existe pas de recette miracle, mais comprendre les rouages de l’improvisation et de l’organisation peut aider à découvrir sa façon à soi de fonctionner.

L’ivresse de l’improvisation

Improviser, c’est ne se donner aucune contrainte, lâcher la bride de son imagination, aligner les mots sans anticiper la suite. Qui n’a pas déjà ressenti cet état de transe au moins une fois en écriture ? On est totalement emporté par le récit, les personnages prennent leur autonomie, on est le spectateur ébloui d’une histoire qui s’écrit d’elle-même. L’auteur devient son propre lecteur, il assiste au récit en vrai spectateur, ses doigts bougent tout seuls tandis que ses yeux s’écarquillent de surprise et d’émerveillement.

Cette expérience indicible et bouleversante, c’est elle qui provoque l’étincelle, le déclic, la passion de l’écriture. Celui qui l’a vécue cherchera alors à la revivre à nouveau, encore et encore. L’improvisation joue donc un rôle primordial dans l’acte d’écriture : elle désinhibe, donne de l’élan et entretient le feu sacré. Un auteur peut avoir besoin de ça pour garder goût à la plume.

Mais attention, ce plaisir-là suffit-il à écrire un bon roman ?

Cheveux sur la soupe et lieux communs

Si l’improvisation se prête plutôt bien à certains genres – le journal intime, l’envolée philosophique, la poésie – elle est piégeuse avec le roman. À moins que vous ne soyez capable, tel le chaton-garou, de retomber habilement sur vos pattes, improviser à tout va peut finir par vous jouer des tours.

Quand on improvise, on ne prévoit rien à l’avance (ou si peu) et ça peut donner lieu à des dérives. Les rencontres les plus improbables sont presque toujours le fruit du hasard. Le rythme de la narration est trop poussif ou trop hâtif. Les personnages se répètent ou se contredisent. Les énigmes sont résolues par un concours de circonstances parfaitement invraisemblable. Beaucoup de petits détails, que vous aviez mis là parce que ça faisait bien, ne seront finalement jamais exploités.

À force de tirer votre narration par les cheveux, vous allez soit vous décourager, soit décourager le lecteur.

Un autre piège qui vous pend au nez, c’est de plonger tête baissée dans les clichés. Votre récit fantastique aura son lot de prophéties faciles, d’élus tombés du ciel et d’aides providentielles. Votre romance traversera tous les passages obligés du genre – coup de foudre, quiproquos, jalousie, trahison, réconciliation, malentendus – de façon complètement convenue. Votre polar… non, un bon conseil, évitez vraiment d’improviser avec les polars.

Alors, un plan ?

Certains auteurs de Plume d’Argent ont un avis suffisamment tranché sur la question pour avoir fondé la ligue « anti-plan ». C’est une position qui peut se comprendre. Si l’on sait déjà ce qui va se produire, si les personnages ne sont plus capables de nous surprendre, si tout est joué d’avance, alors où est la magie de l’écriture ?

Mais avant toute chose, qu’est-ce qu’on entend par « plan » ? C’est un travail préalable à l’écriture où on construit l’ossature de l’histoire : la scène d’ouverture, la mise en place des éléments, les grandes étapes du récit, le dénouement.

Formulé ainsi, ça a l’air simple, mais il faut garder à l’esprit qu’une histoire, c’est un véritable microcosme. Que l’intrigue se déroule dans notre réalité ou non, il faut veiller à avoir une bonne maîtrise de son monde, même si ça ne se remarque pas à la lecture. Le contexte social, familial, politique, géographique, économique, culturel, religieux a son importance : ça implique de faire des recherches, de se documenter, de cogiter.

De plus, comme vos personnages ne sont pas des monolithes, ils vont évoluer au fil des événements. Vous avez autant de fils narratifs possibles que vous avez de personnages ! Ces fils interfèrent les uns avec les autres, créent des nœuds, se défont, se retrouvent, se cassent. Chaque protagoniste répond à une logique qui lui est propre et ses actions auront toujours des conséquences sur lui et sur les autres, fussent-elles minimes. Là, des fiches pourront être très précieuses pour développer votre galerie de personnages : leurs caractéristiques, leur passé, leur philosophie de la vie, mais aussi leurs petites manies et leurs hobbies.

Organisation : à chacun sa méthode

Faire un plan et s’y tenir, ça exige des efforts, de la discipline et de la persévérance. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’écrire, c’est 10% d’inspiration pour 90% de transpiration ?

Ceci dit, pourquoi ne pourrait-on pas briser l’image rébarbative du plan ? Si vous êtes un peu geek, essayez les logiciels organisateurs (KeyNote et yWriter sont gratuits) : vous pouvez copier-coller facilement, intégrer des images, des photos, des liens internet… Si l’informatique vous inhibe, au contraire, un tiroir et du bon vieux papier feront aussi bien l’affaire. Notez vos idées, faites des pâtés dans la chronologie de votre trame, collez des post-it partout et concoctez un album photo des personnages. On peut s’organiser tout en restant un minimum désordonné… en vérité, que serait un artiste sans son chaos ?

Enfin, quoi qu’il arrive, n’oubliez pas de vous aménager une marge de liberté. Ne vous enfermez pas dans un canevas trop précis, faites de la place aux autres possibles. Votre héros doit aller d’un point A à un point B du récit, rencontrer tel personnage ? Il peut le faire de cent façons différentes ! N’y pensez pas trop à l’avance et le moment venu… improvisez. Et si vos personnages désobéissent et ne font pas ce qui était prévu dans le script, réadaptez le plan en conséquence.

Vous verrez alors votre travail récompensé par de purs instants de grâce.


Cristal

6 commentaires:

  1. Drôle. C'est un sujet qui entre dans mes remises en questions du moment.
    J'essaye de partir sans plan (je connais disons deux grands événements de l'histoire, sans détail, et basta) en travaillant avec la première personne (du singulier).
    Je trouve que ça s'y prête assez bien pour le moment.

    Par contre pour ce qui est des fiches personnages, j'avais l'habitude d'en faire, autrefois, et finalement je me suis rendu compte que ça ne m'apportait rien du tout. Les personnages étaient trop rigides. Emprisonnés. Et je ne les connaissais peut-être pas encore assez (on fait toujours ça au début des histoires) pour m'obliger à trouver leur hobbies favoris ou la couleur de leurs chaussettes.

    Mais comme beaucoup de chose, c'est une question de sensibilité personnelle =).

    RépondreSupprimer
  2. Un article qui ne manque pas d'intérêt. D'autant que pour la première fois, j'essaie d'établir un plan, haha. J'ai changé de méthode, au lieu de me poser devant une feuille et de me forcer, je prends des notes quand les morceaux du puzzle veulent bien venir. A mon grand étonnement, pour le moment je ne suis pas lassée, même si effectivement c'est très différent des inspirations subites, et le truc prend forme. On verra si avec ça j'arrive à dépasser le chapitre 1 xD

    RépondreSupprimer
  3. Beulette :

    Bien sûr que chacun a sa sensibilité personnelle ! Moi-même, j'ai longtemps écrit sans le moindre plan et sans fiches personnages ! Sauf que ça m'oblige maintenant à un gros travail de réécriture pour redresser tout ce qu'il y avait de capillotracté dans mon histoire XD Quant aux fiches personnages, j'avoue qu'elles sont devenues nécessaires quand je me suis mise à jongler avec une vingtaine de joyeux lurons : je devais me souvenir qui avait telle particularité, telle histoire personnelle pour ne pas m'emmêler les pinceaux ^^ D'ailleurs, j'insiste sur la nécessité de faire évoluer les personnages, il ne faut justement pas les "enfermer". Et aucune fiche ne peut remplacer la rencontre de l'auteur avec ses personnages au sein même de l'écriture. C'est en écrivant qu'on apprend à faire leur connaissance, même s'ils se mettent à développer des traits de caractères, des manies ou des secrets qui n'étaient absolument pas prévus et qui obligent à faire quelques retouches XD

    Mais sans doute que certaines histoires se prêtent mieux que d'autres à l'improvisation ! Si une histoire est amenée à développer davantage la psychologie et l'intériorité des personnages, je ne crois pas qu'un plan soit nécessaire. Et certains auteurs sont tout naturellement doués pour retomber sur leurs pattes sans jamais rien prévoir à l'avance ! ^^

    Le roman dont tu parles ici à titre d'exemple, c'est Y'a une Blatte dans le Caviar ? :)

    Sunny :

    Ah ??? Tu te lances dans la grande aventure du plan, ma Sunny ? N'hésite pas à partager cette expérience pour voir si ça te réussit ^^ A manier avec des pincettes, le plan peut être inhibant s'il prend trop de place !

    RépondreSupprimer
  4. "Et certains auteurs sont tout naturellement doués pour retomber sur leurs pattes sans jamais rien prévoir à l'avance !"

    Ces gens là me donnent tellement envie *0*. (hm...)

    Je trouve ça plus efficace comme tu le soulignes, en se familiarisant d'abord avec le personnage via l'écriture, pour après, peut-être, lui faire une fiche ! (J'imagine la Passe-Miroir sans fiche personnage xD. Enfin. Qui sait. Ça peut peut-être se jouer !)
    Mais en ce qui me concerne, je n'arrive déjà pas à leur mettre de mot dessus quand il faut que je les expliquent et décrivent aux gens. Alors faire des fiches -_- J'ai l'impression de les réduire. De les diminuer.

    (Et, non, du tout. La Blatte est totalement à l'opposé de ce que j'essaye en ce moment xD. Plan trop compliqué, troisième personne, et anciennes fiches personnages. D'où la nécessité de voir si j'arrive à nager sans me noyer avec une autre façon de faire =D)



    Et pour Sunny : Owi *_* Tu écris une fiction ? Je crois que j'ai jamais eu le loisir de découvrir ta plume dans ce registre là !

    RépondreSupprimer
  5. Moi, j'utilise le plan que je retravaille selon mon inspiration donc le plan déformé.

    Je mets déjà tout ce qui va arriver puis soit j'en rajoute ou enlève. J'approfondis aussi selon l'inspiration.

    Secret de Nasca : mon plan est directement tapé à quelques lignes de mon texte sur le fichier de mon texte. Je n'ai qu'à descendre pour l'avoir sous les yeux. Je peux le modifier. Et j'élimine au fur et à mesure de ma progression.

    Par contre, je ne fais pas de fiche des personnages. S'il le faut, je relis mon texte pour faire revivre mon personnage.

    RépondreSupprimer
  6. Ca a peut-être déjà été dit, mais je me suis retrouvée dans ton propos Cricri.

    En plus de me conforté dans ma position (pro-plan) cela m'a aussi permis de toucher du doigt pourquoi j'écris à un rythme si décousu. L'ivresse n'est pas toujours facile à avoir.

    Merci beaucoup pour cette analyse ^__^

    RépondreSupprimer