vendredi 1 avril 2011

Plumes et Astuces

Je suis maladroit mais je me soigne

« Tes tournures sont bizarres », « je n’ai pas tout compris », « j’ai dû te relire deux fois » : quel auteur n’a pas reçu ce genre de réflexions un jour ? Qu’on soit plume débutante ou plume confirmée, avoir une écriture claire et fluide n’est pas aussi facile qu’il y paraît. C’est un travail de chaque instant, où il faut continuellement lâcher sa posture d’auteur pour se mettre dans la peau du lecteur. La forme doit parfaitement se fondre dans le fond… de même que la caméra d’un réalisateur doit être invisible aux yeux du spectateur !

Le plus difficile, c’est d’être conscient de ses maladresses et de savoir les repérer au moment d’écrire. Je vais aborder ici celles qu’on retrouve le plus souvent.

Un style trop pauvre

Cette lacune est plutôt propre aux grands débutants, ceux qui tournent autour des mêmes mots sans s’en rendre compte. Les termes choisis sont peu évocateurs : « il prend un objet », « elle parle à quelqu’un ». Les phrases sont émaillées de verbes pauvres : être, avoir, aller, mettre, faire. Il y a peu d’adjectifs et ceux-ci sont tellement passe-partout qu’ils veulent à la fois tout dire et rien dire : « c’était un bel endroit », « le pays est grand ».

Avec un style trop imprécis, l’imagination du lecteur n’a pas assez de matière pour se représenter les scènes du récit et pour saisir les nuances de la narration. Il est important de diversifier son vocabulaire afin d’être capable d’utiliser le bon mot au bon endroit. Pour cela, je vous conseille de beaucoup lire, d’être curieux de tout et d’avoir toujours un dictionnaire des synonymes à portée de main.

Un style trop fourni

C’est le travers inverse. Quand un auteur a développé une large palette de mots, la tentation est forte de tous les ressortir. Un nom n’est jamais assez précis à ses yeux, il y accole systématiquement des adjectifs et des adverbes. Les termes seront savants de préférence : par exemple, il ne dira jamais « bleu », mais « céruléen », « azuré » ou « turquin ». Enfin, cet auteur-là a développé une telle capacité lexicale qu’il lui sera intolérable de répéter deux fois le même mot dans le même chapitre…

Si vous vous reconnaissez dans ce portrait, gare à l’indigestion ! À vouloir être trop précis, vous surchargez à la fois votre texte et l’imagination du lecteur. Ne gardez dans une phrase que les mots qui y ajoutent du sens, évitez les fioritures, les décorations et le langage trop savant. De plus, si vous usez et abusez des synonymes, sachez que vous risquez de commettre des erreurs. Un mot ne peut jamais en remplacer totalement un autre, chacun possédant une signification unique.

Un style trop implicite

Ça, c’est l’auteur qui croit que le lecteur habite dans sa tête et qu’il lui suffit de s’exprimer à demi-mot, par allusions, pour être compris. Il écrit « les trottoirs sont déserts » : au lecteur de comprendre que la scène se déroule pendant la nuit. Il écrit « la jeune femme prit la parole » : au lecteur de deviner qui, des trois sœurs, est celle qui parle. Il écrit « en un éclair lumineux, il gagna le combat » : au lecteur de savoir que l’éclair lumineux fait allusion au soleil qui se reflète sur la lame de l’épée au moment où elle s’abat sur l’adversaire.

Ces ellipses sont souvent involontaires, l’auteur étourdi est tellement emporté par son élan au moment d’écrire qu’il saute des étapes essentielles à la compréhension de l’histoire. À celui-là je conseille de prendre tout son temps : ne sautez pas les transitions, revenez sur les détails importants et surtout, relisez-vous à tête reposée.

Quant à ceux qui ont fait de l’implicite un précepte d’écriture, sous prétexte que c’est aussi au lecteur de fournir des efforts, n’oubliez pas que nous n’avons pas tous la puissance de déduction de Sherlock Holmes. Un sous-entendu ne produit son petit effet que si votre interlocuteur peut le saisir : sinon, autant s’écrire à soi-même.

Un style trop inventif

Vouloir se démarquer par son originalité, faire preuve de créativité, ne pas écrire comme tout le monde : si l’idée est bonne, le ton est parfois trop forcé. À quoi reconnaît-on un hyper-inventif ? À ses expressions maison. Elles combinent les mots jusqu’à obtenir des associations improbables : « cette menace, à peine travestie, lui extorqua toute sa sueur », « la pauvre Suzie s’envola dans un sommeil d’encre », « l’homme m’encapa de ses prunelles en forme d’aiguilles ». Plus les mots sont détournés de leur sens d’origine, plus les images sont exagérées et plus l’hyper-inventif croit avoir développé une écriture personnelle.

Si ces fantaisies se prêtent à la poésie, elles se marient mal avec le roman. Votre lecteur ne vous appréciera pas s’il ne vous comprend pas. Être inventif, ce n’est pas refaire la langue française à sa sauce, c’est savoir assortir des mots simples de façon à produire dans l’esprit du lecteur une image réellement évocatrice. Et puis n’oubliez pas que votre originalité, c’est à l’intérieur de l’histoire qu’il faut la chercher, pas seulement à la surface des mots.

Lisez, lisez, lisez

Comme il est difficile d’avoir du recul sur sa propre écriture, et par conséquent de repérer ses maladresses, je conseille aux auteurs de lire très régulièrement. Littérature classique ou contemporaine, ouvrages de jeunesse ou répertoire adulte, peu importe : l’essentiel est d’adopter une lecture critique. Prenez des extraits ici et là, piochez au hasard, laissez de côté l’histoire et concentrez-vous sur la façon dont les écrivains tournent leurs phrases, choisissent leurs mots, animent leurs personnages, font naître des images, des couleurs, des odeurs, des pensées.

Certains styles vous parleront, d’autres ne vous parleront pas. C’est le signe que vous avez développé une approche personnelle de l’écriture. Lisez, analysez, essayez de cerner pourquoi telle plume vous plaît alors que telle autre vous hérisse, qu’est-ce qui donne du piment à votre lecture et qu’est-ce qui la rend fastidieuse.

Car finalement, lire, c’est comme se regarder dans un miroir : ça nous apprend à mieux nous voir.


Cristal

2 commentaires:

  1. Comme c'est bien dit, Cricri, tout ça !
    Une bonne petite révision de style pour remettre un peu les pendules à l'heure de ses écrits.
    Merci. J'ai beaucoup apprécié ton article.

    Biz Vef'

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  2. Itou. J'ai trouvé cet article au goût du jour, pour ainsi dire, et comme le dit Vef, c'est bien de se retrouver en face de cet étendu de style. :)

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