jeudi 30 septembre 2010

Paroles de Pros

C’est la grande surprise du PAen pour son retour dans les starting-blocks ! Parce que les éditeurs sont les mieux placés pour nous parler de l’édition qui fait rêver tant de Plumes, il était très tentant d’aller frapper (avec un peu de timidité, avouons-le) à leur porte et de leur demander l’asile le temps d’une petite interview. Pour la première de cette rubrique, nous avons bu les paroles de Menolly qui nous a ouvert le monde de la maison d’édition Griffe d’Encre. Un grand merci à elle pour avoir accepté notre invitation et pris sur son temps pour répondre à nos quelques questions.


Racontez-nous donc un peu la naissance de Griffe d’Encre…

Griffe d'Encre est née en 2005 dans la tête de 3 filles : Sophie Dabat, Magali Duez et moi-même. Nous étions toutes les 3 publiées à droite, à gauche dans des zines et revues, nous connaissions chacune une partie du monde éditorial, et nous avions envie de franchir le pas. Notre première réunion a eu lieu à la fin des Utopiales (festival de l'Imaginaire) 2005, à Nantes, dans une salle pleine de cartons. Nous nous sommes assises par terre et nous nous sommes demandées : ok, on veut éditer, mais quoi, pour qui, comment, quelle ligne... et il faut que notre logo soit un chat.

Après plusieurs mois à définir ces points, nous avons ouvert notre forum et notre site en février 2006, et lancé nos appels à textes pour les collections. Nous avons aussi lancé un grand brainstorming sur une partie privée de notre forum, ceux que nous appelons maintenant « nos griffés » ont abondamment participé, et nous avons choisi le nom « Griffe d'Encre ». Nous sommes devenus une société, dans laquelle nos conjoints sont associés (merci à eux pour les sous). Sophie avait entre-temps quitté l'équipe éditoriale (mais restait une griffée pure et dure), et Karim Berrouka & Michaël Fontayne étaient venus la remplacer pour la direction des recueils.

Fin avril 2007, nous avons sorti notre premier livre, une anthologie sur le thème « Ouvre-toi ! », et fêté notre lancement à Paris avec du cake aux orties et des cookies maison. Quand cet article sortira, nous en serons à 34 ou 35 ouvrages publiés.


Pouvez-vous nous en dire plus sur votre ligne éditoriale ? Quel genre privilégiez-vous ?

Nous publions de l'Imaginaire, au sens S-F, fantastique, fantasy, mais en restant proche du monde réel. Notre souhait était de pouvoir intéresser et être lus facilement par des lecteurs qui ne connaissent pas ces genres, pour qu'ils aient ensuite envie de s'y plonger.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes auteurs qui souhaitent tenter leur chance auprès des maisons d’édition ? Quels sont les pièges à éviter ?

Premier conseil, qui va de soi mais qui est tellement souvent ignoré qu'il vaut mieux le donner : relisez-vous. Faites-vous relire par quelqu'un d'objectif (oubliez votre maman ou votre petit(e) ami(e)). Pour les auteurs qui écrivent dans le domaine de l'Imaginaire, le collectif CoCyclics basé sur l'échange permet de faire bêta-lire son texte, voire de le retravailler. Rendez votre texte présentable. J'ai récemment reçu un texte de 32 pages : un seul paragraphe.

Ensuite : se renseigner sur les maisons en question que vous souhaitez démarcher. Feuilleter un ou deux de leurs livres, pour voir ce qu'elles publient, aller sur leur site, prendre connaissance de leur ligne éditoriale, des conditions de soumission d'un manuscrit, etc. C'est bête de payer l'impression d'un pavé de 400 pages et son envoi postal si l'éditeur accepte les envois par mail ! Inversement, certains éditeurs refusent les envois électroniques, et le courriel sera mis d'office à la poubelle. Un exemple, alors que nous demandons instamment des envois par mail uniquement, nous recevons toutes les semaines des manuscrits par la Poste (et parfois en recommandé, le pire, car ça nous oblige à aller à la Poste et faire la queue pour récupérer quelque chose dont nous ne voulons pas de toute façon), et nous recevons toujours des romans alors que cette collection est fermée depuis près de 2 ans. Inutile de dire que nous ne les lisons et ne les lirons pas.

Troisième conseil : soignez la lettre ou le mail d'accompagnement. Au minimum, soyez polis. J'ai reçu des manuscrits par mail sans un bonjour ni bonsoir, juste le mail avec la PJ. Direct à la poubelle. Évitez d'encenser votre texte, mais ne vous enfoncez pas non plus. La sobriété polie est une valeur sûre.

Et enfin, armez-vous de patience. En général, l'éditeur indique sur son site un délai moyen de réponse, qui peut aller de quelques semaines à plusieurs années. D'où l'intérêt d'envoyer un manuscrit à plusieurs éditeurs en même temps (avec une exception dont je parlerai plus bas), en le signalant à chaque éditeur par courtoisie, et en prévenant si vous signez avec un confrère. Si au bout du délai indiqué par l'éditeur vous n'avez pas de réponse, vous pouvez le relancer. Évitez les lettres d'insultes ou de menaces quelques semaines après l'envoi (du vécu).


Qu’attendez-vous d’un manuscrit qui vous parvient ? Avez-vous des exigences quant au scénario ?

Non, pas d'exigences particulières, pour ma part du moins. J'attends d'un manuscrit, une fois établi, qu'il colle à notre ligne, qu'il me touche, d'une façon ou d'une autre. Ce peut être purement cérébral, d'ailleurs. Une condition nécessaire est que je sois suffisamment accrochée pour lire le texte d'une seule traite, et que je sente que je pourrai le relire de nombreuses fois sans m'en lasser.

Quelles difficultés rencontrez-vous le plus souvent en tant qu’éditeur ?

Il y en a tellement, dont la plupart très terre-à-terre : difficultés de diffusion, libraires qui ne payent pas toujours dans les temps (voire pas du tout pour certains), problèmes de distributeur (on en change début octobre), problèmes d'imprimeur (on est en train d'en changer aussi), problèmes de temps (on est tous bénévoles) et de délais...

Pour les difficultés plus poétiques : ce qui est fantastique, dans ce boulot, c'est qu'on rencontre des gens de tous horizons. Et il faut arriver à s'adapter à chaque auteur ou illustrateur, et vice-versa. Ce n'est pas toujours évident, parfois il y a des ratés, des incompatibilités, parfois au contraire c'est une vraie symbiose... À titre personnel, l'une des choses les plus difficiles, pour moi, c'est de finir un livre. Pendant des semaines, des mois, l'auteur, éventuellement l'illustrateur et moi-même avons vécu une relation parfois très fusionnelle, et du jour au lendemain quasiment, c'est fini, le livre part chez l'imprimeur, et ensuite il est paru et je me consacre au suivant. J'ai l'impression chaque fois, toutes proportions gardées, d'un mariage et d'un divorce. Divorce à l'amiable, certes, en gardant des relations très amicales, mais divorce quand même.


Beaucoup de manuscrits échouent sans doute sur votre bureau… Comment se déroule la sélection d’un manuscrit parmi tant d’autres, ainsi que la décision de l’éditer ?

Chaque directeur de collection a sa façon de faire. En ce qui concerne les novellas (ma collection), je lis le manuscrit puis je le mets de côté. Je note mes impressions sur le forum de l'équipe. En général j'ai déjà une assez bonne idée de si c'est refusé d'office, ou si c'est accepté, éventuellement sous conditions. Si je suis intéressée, j'anonymise le texte et je l'envoie à ma lectrice, qui me renvoie une fiche de lecture. Même si elle n'aime pas, ça ne m'empêchera pas de choisir un manuscrit. Mais je tiendrai compte de ses remarques pour la phase de retravail.

Magali Duez, cocréatrice de Griffe d'Encre, et qui s'occupe des anthologies, procède autrement. Elle fait appel à un comité de lecture composé de 3 à 6 personnes, et chacune lit les textes, toujours anonymisés, et donne son avis. Elle fait ensuite sa sélection en choisissant les textes les plus appréciés en général. Pour ce qui est des recueils, Karim est maintenant le seul à diriger la collection, et il mène sa barque tout seul : aucun lecteur ne l'assiste dans sa sélection.


Une fois le manuscrit accepté, que se passe-t-il ?

En général, si je suis intéressée, je propose à l'auteur d'effectuer un premier retravail. S'il est d'accord, je lui renvoie le fichier avec mes annotations : à partir de ce moment-là, la discussion est ouverte, rien n'est obligatoire, mais si je ne suis pas convaincue par le résultat, je ne prends pas le texte. C'est du sans-filet, autant pour l'auteur, qui peut se voir refuser le texte après avoir vraiment bossé dessus, que pour moi, qui peux voir un auteur proposer son manuscrit retravaillé et me convenant parfaitement à quelqu'un d'autre, auquel cas j'aurai bossé pour la « concurrence ».

Dans tous les cas suit ensuite une phase de correction. Karim corrige seul. Magali et moi prenons en général quelqu'un pour nous aider dans cette phase, qui peut durer plusieurs mois et être très intense. Pour « Lemashtu », par exemple, notre 2e roman, à la fin nous faisions plusieurs allers-retours par jour entre l'auteure, la correctrice, Magali et moi-même. Sur un livre de 600 000 signes, c'était de la folie furieuse.

Ensuite vient la phase de corrections fines, orthographe, typographie, puis la mise en page. Souvent une personne ne connaissant pas encore le texte effectue un passage pour débusquer les dernières coquilles, l'auteur relit de son côté, nous aussi, et une fois que plus personne ne voit plus rien et a la nausée, nous envoyons le fichier définitif à l'auteur, pour le Bon à tirer. Dès validation, le fichier part chez l'imprimeur et nous nous promettons que plus jamais nous ne relirons ce livre de peur de découvrir des coquilles.


Comment est rémunéré un auteur que vous éditez ?

Il touche un à-valoir à la signature du contrat, qu'il gardera quoi qu'il arrive (même si le livre n'était pas publié pour une raison ou une autre), et ensuite un pourcentage sur les exemplaires vendus, avec un système de paliers. À l'heure actuelle, un auteur griffé touche 7% du prix TTC sur les 500 premiers exemplaires, 8% entre 500 et 1000, 9% entre 1000 et 1500, et 10% au-delà de 1500.

Comme cela peut sembler très peu à certains qui nous lisent, je précise quelques chiffres. Sur les 9€ que coûte notre dernière novella, par exemple, environ 25% part chez l'imprimeur, 50% chez le distributeur + le libraire, 5,5% pour la TVA, une partie va à l'illustrateur (qui est payé au forfait, donc on ne peut pas calculer de pourcentage fixe), entre 7 et 8% à l'auteur dans la plupart des cas (un seul de nos ouvrages a dépassé les 1000 exemplaires vendus à l'heure actuelle). Pour certains ouvrages, nous payons une maquettiste et une correctrice extérieures à l'équipe. Autant dire que notre marge est réduite (AN que toute l'équipe est bénévole).


Que pensez-vous de l’édition à compte d’auteur ?

Que c'est un bon moyen de devenir riche. Côté « éditeur », j'entends. Côté auteur, c'est autre chose. Sérieusement, il y a un grand pourcentage d'arnaqueurs dans l'édition à compte d'auteur, et c'est fort dommage pour ceux qui exercent cette pratique de façon honnête et transparente. Il y en a, mais ils sont rares. En règle générale, à moins de savoir exactement où vous mettez les pieds, si on vous demande de l'argent pour vous éditer, sous quelque forme que ce soit, fuyez.

Vous lancez régulièrement sur votre site internet des appels à textes. En quoi cela consiste-t-il ?

Cela concerne les anthologies uniquement, et cela consiste à demander aux auteurs de nous envoyer des textes sur un thème donné, avec une date limite et des contraintes à respecter (nombre de signes à ne pas dépasser, etc). C'est parmi ces textes que l'anthologiste fera sa sélection et composera son sommaire.

Et là vient l'exception dont je parlais tout à l'heure concernant l'envoi à plusieurs éditeurs. Un texte envoyé en réponse à un appel à textes est censé avoir été écrit pour cet appel, et surtout l'éditeur est dans la mouise si une fois qu'il a composé son sommaire et qu'il contacte les auteurs retenus, certains lui annoncent que finalement leur texte a trouvé preneur ailleurs.

Si vraiment vous avez un texte qui vous semble parfait pour deux appels à textes, vous pouvez demander aux éditeurs s'ils seraient ok pour que vous l'envoyiez à eux deux en même temps. Si la réponse est négative, il faudra choisir.

Le rêve d’un auteur est de tenir un jour son livre entre les mains… Quel est celui de Griffe d’Encre ?

Nous en avons déjà accompli quelques-uns parmi ceux qui ont présidé à la création de la maison. Il nous en reste plein, heureusement : ouvrir d'autres collections (en cours pour les Carnets de croquis, en projet pour les autres), publier Mélanie Fazi, établir un ou des partenariats avec des éditeurs de livres audio, augmenter les tirages, payer correctement nos illustrateurs, rémunérer autrement qu'en nature (tss tss, je parle de bouquins, à quoi pensez-vous ?) nos lecteurs et correcteurs (nous aussi, au passage)... et encore d'autres qui ne sont pas d'actualité, mais peut-être un jour... ?



Si vous souhaitez tenter votre chance ou tout simplement en savoir plus sur Griffe d’Encre, je vous invite à visiter son site internet pétillant de bonne humeur, où vous pourrez retrouver tout son univers, ainsi que le planning de parution et le guide de soumission.

Alors les Plumes, vous laisserez-vous séduire par le regard craquant et malicieux de la Grifouille ?

La Ptite Clo

Les éditions Griffe d'encre : www.griffedencre.fr

5 commentaires:

  1. Très intéressant de voir l'édition de l'autre côté. Ça donne envie de visiter leur site. Félicitation !

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  2. Je suis impressionnée par autant de passion chez ces filles qui font de l'édition un loisir plus qu'une profession rémunératrice. D'autant plus qu'elles bossent comme des professionnelles. Je suis admirative.
    En plus, Clo, les questions sont très bien choisies et les réponses sont précises, fournies et claires.
    Bravo pour cette belle interview !

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  3. Une interview vraiment passionnante, et je rejoins Vefree : les gens de la Griffe d'Encre forcent le respect ! Merci de nous les avoir fait découvrir.

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  4. Ah tiens, j'étais déjà passée sur leur site. C'est vraiment chouette de découvrir qui est derrière la vitrine *o*

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  5. Franchement, Clo c'est du super boulot cette interview... quand aux réponses, c'est chouette de voir l'autre côté du monde de l'édition celui que précisément nous ne connaissons pas.

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