mardi 1 avril 2014

Plume et Astuce

Les trois clefs d’une bonne histoire     
 

À l’occasion du Salon du livre jeunesse de Montreuil, a été organisée une grande rencontre de plumes argentées. Nous avons eu, outre les délires incontournables, des conversations tout à fait passionnantes ! Au cours de l’une d’elles, j’ai appris qu’on pouvait finalement résumer la plupart des qualités d’une bonne histoire à trois principes. Ces trois règles d’or, si simples en apparence, peuvent non seulement servir de points de repère à l’auteur qui bâtit son récit, mais aussi d’axes de réflexion aux lecteurs qui auraient du mal à affiner leurs commentaires. Plus j’y réfléchis, plus je suis convaincue qu’il suffirait à chacun de se poser ces trois questions rituelles pour permettre de déterminer exactement les forces et les faiblesses d’un texte. Je vous invite donc à vous les poser avec moi, si vous le voulez bien !

Est-ce que l’histoire est compréhensible ?

Ça a l’air bête, formulé ainsi, et pourtant ce principe n’est pas aussi facile à suivre qu’il y paraît. J’ai longtemps été moi-même une adepte du flou artistique, en pensant qu’un texte clair faisait cucul la praline. Je complexifiais délibérément mes phrases pour que chaque action soit sous-entendue, jamais explicitement décrite. Quand un mot me semblait trop élémentaire, je lui cherchais un synonyme le plus rare et le plus précieux possible. Et comme s’il ne me suffisait pas d’obscurcir mon style, je multipliais dans mon intrigue les faux indices et les détails sans importance afin de dérouter le lecteur et rendre l’histoire plus mystérieuse encore. Dans mon esprit, c’était ça, écrire en adulte.

Maintenant que j’y pense, c’était plutôt écrire en sale gosse. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une histoire répond aux mêmes principes que n’importe quelle forme de langage. Un émetteur (l’auteur) transmet un message (l’histoire) à l’attention d’un récepteur (le lecteur). Si le message est brouillé par toutes sortes de parasitages, au niveau de la forme ou au niveau du fond, le récepteur ne le comprendra pas. Je ne parle pas ici de poésie où la sonorité et la symbolique des mots répondent à leurs règles propres, ni des écrits personnels voués à rester dans les fonds de tiroir, ni des essais qu’on destine à un lectorat très spécifique.

Auteurs, ayez toujours une pensée pour votre lecteur quand vous écrivez, surtout si vous voulez toucher un public jeune ou n’ayant pas mené de grandes études littéraires. La clarté du style et de l’action est essentielle : préférez des phrases courtes à des syntaxes compliquées, précisez toujours qui dit quoi dans les dialogues, choisissez des mots précis et évocateurs, ajoutez des explications partout où c’est nécessaire, évitez la surabondance de noms imprononçables (« R’gur ahl Br’n se rendit à Mist’gnül pour récupérer son hart’yfil préféré ») et faites la chasse à tout ce qui pourrait générer des malentendus. Si vous êtes fier d’une phrase qui sonne bien, qui fait classe, mais qui n’est objectivement pas claire, sacrifiez-la sans pitié. Je sais. Ça fait mal.

Quant à vous, amis lecteurs, n’ayez jamais peur de relever les passages que vous n’avez pas compris, les confusions que vous pensez faire. Vous rendrez un immense service à l’auteur qui n’a pas toujours le recul nécessaire sur son texte.

Est-ce que l’histoire est crédible ?

Ce n’est pas tout d’écrire une histoire compréhensible, il faut aussi que votre lecteur y croie. Ici, nous nous attaquons à une autre strate de l’écriture : notre aptitude à donner l’illusion du vrai à une œuvre de fiction, non-réelle par définition. Un auteur est un prestidigitateur. Vous détenez le pouvoir de créer des mondes impossibles, d’animer des personnages imaginaires et de faire vivre des émotions puissantes, bien réelles elles, à votre lecteur ! Mais attention : une seule invraisemblance et votre tour est raté. Le lecteur est éjecté hors de l’histoire, il a cessé d’y croire… oh, ça ne dure parfois qu’un instant, mais la faille est là. Et si votre histoire contient trop d’invraisemblances, vous dissoudrez toute la magie qu’elle contient. « Non, mais cette bizarrerie, je l’explique plus loin, en fait », me direz-vous peut-être. Ce à quoi je réponds : le lecteur doit croire en votre histoire ici et maintenant, du premier au dernier mot. Ne vous permettez les explications tardives que si vous avez déjà gagné la confiance de votre lecteur et que vous lui avez largement prouvé par le passé que vous maîtrisez votre affaire.

Maintenant, concrètement  qu’est-ce qui rend une histoire crédible ? Son réalisme ? Oui, pour le degré de précision des décors ou pour le ressenti des personnages, par exemple, mais pas que.

Plus on puise dans la réalité pour construire notre imaginaire et plus notre imaginaire devient une nouvelle réalité. La saga du « Trône de fer » de Martin, devenue culte, est un récit Fantasy ultra réaliste en termes de violence, de psychologie, de civilisation et d’intrigues politiques. Prenons Harry Potter, à présent. Ce qui fait son succès, c’est que les lecteurs y croient : le monde des sorciers existe vraiment pour eux (j’ai vu la voie 9 ¾, si, si, je l’ai vue !). Pourtant, ici, plutôt que le réalisme, je pense que c’est la cohérence de l’univers qui a été déterminante. Un monde, fût-il imaginaire, possède des règles, des lois, un passé, des possibilités et des interdits qu’il vous faut bien connaître pour que la mécanique fonctionne. Même les univers absurdes, comme celui du « Disque-Monde » de Pratchett, possèdent une logique propre qui fait que oui, c’est impossible, c’est délirant, mais on s’y croirait.

Si vous écrivez des histoires qui se déroulent dans notre monde de tous les jours (le « Slice of life » comme on dit maintenant), la vraisemblance va alors passer par votre maîtrise du contexte. Une fac de droit ? Un commissariat ? Un asile psychiatrique ? Une cour versaillaise ? Une grotte préhistorique ? Il vous faut un minimum vous documenter, ou alors parlez de ce que vous connaissez personnellement. Vos personnages ont une vie publique et privée étroitement liée à leur environnement, cet ancrage est donc important pour que le lecteur y croie. Notre monde réel possède aussi ses propres règles. Vous ne pouvez pas faire prendre l’avion à un enfant de quatre ans qui décide de partir seul à l’aventure. Une orpheline qui galère pour joindre les deux bouts n’habitera pas dans les beaux quartiers de Paris. Et Napoléon n’avait pas le téléphone dans son cabinet de travail.

Enfin, j’ai envie de dire qu’encore plus que le background, la crédibilité d’une histoire passe essentiellement par ses personnages. Si vous dotez vos héros de qualités et de défauts, de forces et de handicaps, il ne suffit pas de le dire et puis voilà. Ils doivent les incarner dans le récit, quitte à évoluer par la suite. Leurs actions et leurs réactions doivent, elles aussi, être adaptées aux événements et aux autres protagonistes. N’allez pas me faire croire que si vos amis et vous étiez réellement poursuivis par un monstre sanguinaire, votre premier réflexe serait de vous séparer. Ni que les mamans sont nécessairement des femmes belles, tendres, douces, lumineuses dont le seul vice est de s’inquiéter pour leurs enfants (a fortiori quand elles sont décédées, vous avez remarqué ?).

Bref, veillez à toujours rester crédibles. Et vous, amis lecteurs, aidez les auteurs à s’améliorer en leur disant tout ce qui vous a fait sourciller !

Est-ce que l’histoire est accrocheuse ?

Pour cette troisième et dernière règle d’or, le lecteur jouera le plus grand rôle. Un auteur peut, à force de persévérance, clarifier et travailler son histoire jusqu’à la rendre limpide comme de l’eau de roche et plus vraie que nature. Mais rien ne lui garantit que ces qualités suffiront pour transporter le lecteur jusqu’au point final. Il est tellement difficile pour un auteur de juger sa propre production ! Certes, avec l’expérience, nous pouvons ressentir les passages que le lecteur lira (et relira) avidement, ainsi que ceux qu’il survolera un peu vite, mais nous restons pour nous-mêmes des juges atroces, soit trop indulgents, soit trop sévères. C’est ici que l’étape de soumission aux regards extérieurs devient incontournable. Et c’est ici que le lecteur se doit d’être le plus honnête possible au moment de commenter sa lecture. Ce passage vous a fait hurler de rire, frémir de peur, ému, bouleversé, transporté ? Dites-le. Tel autre vous a arraché un bâillement, laissé de marbre, déçu, pesé, freiné ? Dites-le.

Maintenant, je trouverais un peu facile de m’en tenir à cette conclusion-là pour cette dernière question. J’ai encore beaucoup à apprendre, je suis loin d’avoir l’expérience nécessaire pour dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, mais je peux au moins partager avec vous ce qui, moi, en tant que lectrice et non plus en tant qu’auteure, m’accroche dans une histoire. Je précise au préalable que je lis absolument de tout en matière de romans (littérature jeunesse et adulte, histoires d’amour, collections SFFF, polars, fictions historiques, drames familiaux, œuvres classiques, etc.), je n’ai donc pas un genre de prédilection qui pourrait biaiser mon point de vue. Et si vous voulez compléter le mien par le vôtre, j’en serais très honorée !

Bref, depuis que j’écris, je suis devenue très à l’écoute de la lectrice qui palpite en moi. Cette lectrice ressent le besoin de s’identifier aux personnages ou, au moins, d’entrer en forte empathie avec eux. Un héros à la perfection superficielle ou au cynisme inébranlable, des amis en carton-pâte, un antagoniste aussi méchant qu’il en a l’air, ça ne me parle pas. Bref, il me faut des personnages un minimum fouillés, dotés de vraies motivations, qui sont traversés par des émotions sincères, qui font des erreurs, mais qui ne font pas non plus vingt fois les mêmes, qui évoluent au fil des pages, qui produisent de l’électricité entre eux, qui sont de chair et de sang, qui ont des passions et des secrets pas toujours avouables. La lectrice en moi est également friande de petits détails sensitifs et insolites, elle apprécie qu’on lui plante le décor en peu de mots, mais attention ! que ces mots-là vibrent de vie, de formes et de couleurs… J’aime palper la présence de l’auteur, quelque part derrière le texte ; autant dire que je saute allégrement tout ce qui ressemble à une présentation encyclopédique. Que celui qui n’a jamais fait pareil me jette le premier livre. L’idéal formel pour la lectrice en moi, c’est quand les descriptions, les actions, les pensées, les émotions et les dialogues ne cessent d’alterner tout en s’équilibrant les uns les autres. Et enfin, ce qui va être déterminant dans l’intérêt que je porte à une histoire, c’est… l’histoire, justement ! Qu’il s’agisse d’une intrigue sentimentale ou d’un récit d’aventure, d’un thriller implacable ou d’une vie de famille, peu importe, du moment qu’il y a des défis à relever, des mystères à résoudre, une tension croissante, des coups de théâtre époustouflants, des accomplissements inattendus et des rebondissements efficaces.

Quand j’écris, c’est cette alchimie que j’ai à l’esprit et que j’essaie, quitte à me remonter souvent les bretelles, d’obtenir à mon tour.


J’achève ici cette Plume et Astuce plus longue que d’habitude. Comme quoi, trois questions très simples en apparence donnent énormément de matière à réflexion. N’hésitez pas à passer par les commentaires ou par le forum pour prolonger ensemble cette réflexion !

Cristal

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