Coucou les plumes,
Au menu de ce nouveau numéro, PaNoWriMo oblige, le forum s’est plongé dans son ambiance la plus studieuse. Les auteurs en herbe rivalisent d’imagination, les mots fusent, les thèmes inspirent et chacun donne le meilleur de lui-même pour faire avancer ses histoires. Alors quoi de plus logique que d’aller fureter du côté d’un véritable auteur pour glaner quelques précieux conseils ?
J’ai donc choisi un auteur que nous connaissons tous, j’ai nommé Fabrice Emont. Mais si, réfléchissez, Fabrice est l’un des finalistes du fameux concours premier roman de Gallimard Jeunesse. L’un des concurrents de notre Cricri nationale, et auteur du très bon « Dis-moi qu’il y a un ouragan », disponible dans toutes les bonnes librairies. En exclusivité sur PA, il accepte de répondre à nos questions.
1- On a tous en nous ce petit grain de folie que certains décident un jour de développer. Que ce soit au travers de la musique, du dessin ou encore de l’écriture, on a tous nos raisons de prendre la plume et monter au créneau. Quelle a été la vôtre ? J’écris depuis que j’ai 7 ou 8 ans. Je savais par mon éducation que les livres étaient une belle chose mais je n’aimais pas lire ; par contre, j’ai toujours aimé « créer » et inventer des choses. Je dessine parfois, je joue un peu de piano (très mal). L’idée d’écrire un roman a donc toujours été là, ponctuée de tentatives… jamais achevées. Certes, j’écrivais des poèmes (obscurs) et des nouvelles, dont certaines sélectionnées dans des concours. Mais, à vrai dire, à plus de 36 ans, au moment où l’affiche du concours Gallimard Jeunesse m’est tombée sous les yeux, j’étais sur le point d’abandonner l’idée d’essayer de publier ou même d’écrire un roman. D’ailleurs, devant l’affiche, j’ai hésité, et c’est surtout poussé par l’énergie du désespoir que je me suis dit : « Si ce n’est pas cette fois, ce ne se sera jamais ! » J’ai regardé les conditions : « Public de lecteurs de 9 à 18 ans. 18 + 9 = 27, divisé par 2, cela fait 13,5. Donc je pourrais écrire sur un personnage de 14-15 ans… » Et là a surgi dans ma tête l’image d’une adolescente que je venais de voir à la caisse de la supérette quelques minutes plus tôt : j’avais mon héroïne. Le lendemain matin, la première phrase est venue pendant que j’écoutais la radio dans ma salle de bains, puis je suis parti à l’aventure en n’ayant qu’un but : avoir écrit une histoire complète d’au moins 120 000 signes pour le 31 août. La date butoir m’a beaucoup aidé, car elle « matérialisait » la fin, la ligne d’arrivée du marathon.
2- En tant qu’auteur, a fortiori débutant, on voit toujours les maisons d’édition comme une forteresse imprenable pleine de dragons à visage humain et de magiciens du papier. Mais à votre avis, est-ce aussi terrible qu’on le dit ? L’édition est une industrie culturelle. Donc, il y a la partie culturelle, artistique, où règne l’émotion, le ressenti de ceux qui lisent et de ceux qui écrivent, et il y a la partie industrielle, où les considérations techniques et économiques priment. Les individus qui participent à la « chaîne du livre » sont ainsi pris entre ces deux feux, ce qui n’est pas toujours facile. Et comme tout milieu, celui de l’édition peut avoir tendance à se replier sur lui-même... Mais tous les éditeurs que j’ai rencontrés m’ont paru plutôt sympathiques et ouverts d’esprit. En tout cas, aucun ne crachait de feu ! Et il n’est pas vrai que seul le copinage permette de se faire publier. Christelle Dabos, Philippe Laborde et moi en avons fait l’expérience, car nous étions tous les trois aussi surpris d’avoir été sélectionnés par Gallimard Jeunesse. Si on a tendance à voir les maisons d’édition comme des forteresses surnaturelles, c’est peut-être surtout parce que l’écriture est notre part de magie à nous, et qu’il n’y a pas de magie digne de ce nom sans quelques monstres et sorciers à terrasser…
3- En tant que membre de Plume d’Argent et fan-club officiel de Christelle Dabos, nous avons suivi de très près l’évolution du concours premier roman de Gallimard, dont vous étiez également finaliste. Félicitations. Comment vit-on dans la peau d’un finaliste ? La peur au ventre ou l’extase du challenger au sommet de son art ? Quand j’ai lu le texte de Christelle, j’ai tout de suite su qu’elle allait être la gagnante, parce que son texte me semblait avoir un souffle épique, une ampleur imaginative et une richesse descriptive avec lesquels il est bien difficile de rivaliser. Donc, pas suspense de ce côté-là. Quelques commentaires de candidats déçus sur Internet qui disaient que mon texte, au langage pas toujours très orthodoxe, sonnait la « mort de la littérature jeunesse » étaient assez troublants, quoique amusants, au fond. Ce que je me demandais surtout, c’était si quelques jeunes lecteurs et lectrices se reconnaîtraient dans ce que j’avais écrit. J’ai eu la plus charmante des réponses à cette question en découvrant qu’une jeune fille avait créé un blog pour faire connaître mon texte, parce qu’elle s’était reconnue dans Léa, la narratrice du roman. Quant à être au « sommet de son art », ma manie de la réécriture fait que je ne suis jamais entièrement content de ce que j’ai écrit. Ainsi, entre la version mise en ligne pour le concours et la version papier qui va sortir en librairie, je n’ai pu m’empêcher d’apporter au texte mille petites modifications (sans changer l’histoire, bien sûr)…
4- Aujourd’hui Gallimard décide de vous faire confiance en publiant votre roman. Une belle récompense pour conclure une belle aventure. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? La rédaction de « Dis-moi qu’il y a un ouragan » a-t-elle connu les jours de pluie, la page blanche ou encore les doutes ? J’écrivais au jour le jour, sans avoir une idée précise d’où j’allais. Je me laissais porter par la voix de Léa, en intégrant des éléments trouvés ici et là. Parfois les suggestions venaient de mots tirés aux sorts (par un générateur aléatoire inclus dans le traitement de texte que j’ai programmé pour mon usage), le meilleur exemple étant le titre du livre, purement aléatoire mais qui m’a guidé jusqu’à la fin. Parfois c’est une personne croisée dans la rue qui m’inspirait : le grand-père de Léa est « né » d’un imposant Breton barbu que j’ai vu en grande discussion dans une petite voiture noire avec une ado qui devait être sa petite-fille. Et ainsi de suite. Tout allait bien jusqu’au chapitre 11, où a surgi le gros blocage. Jusque-là, l’histoire était du genre fantastique, avec une sorte de créature qui, à la manière d’un vampire, aspirait l’énergie vitale – c’est pourquoi, au départ, le personnage de Quentin était maigre et pâle. Mais je me suis aperçu en plein milieu du livre que je n’étais pas du tout convaincu par cette idée et que je ne trouvais pas de développement qui me donnait envie de continuer à écrire. Pendant deux jours, j’ai désespérément cogité pour déterminer quelle nouvelle direction prendre, comment faire à nouveau fonctionner l’histoire. Et c’est quand j’ai décidé de remplacer la magie par l’amour et la poésie, donc d’écrire un récit « réaliste » et non fantastique, que tout s’est débloqué. Mais là encore je ne suivais pas de plan précis, juste un « arc » en sept étapes (la méthode exposée par la prof d’arts visuels dans le roman est à peu près celle que je suis ; cela m’amusait d’écrire un roman sur une histoire en train de s’écrire, et de tester si ma « théorie » pouvait donner un résultat concret). Le texte final n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé au départ, mais il s’était développé de manière « organique » sur le terreau des idées abandonnées et de souvenirs fugitifs. Ensuite, il y a eu d’innombrables réécritures. Le regard critique de ma sœur m’a accompagné tout le long du processus, car elle lisait les chapitres au fur et à mesure et me donnait son avis. Puis Gallimard m’a fait quelques suggestions de modification avant la mise en ligne. Et enfin, j’ai passé un mois à réécrire pour la publication papier. Le temps de beaucoup douter encore.
5- À l’heure d’Internet et des nouvelles technologies, l’autopublication devient une arme de choix dans l’arsenal de l’auteur débutant, est-ce que cette aventure vous a déjà tenté ? Non. J’aime l’idée d’un « filtrage » professionnel, d’un regard extérieur sur le texte. Le texte est l’œuvre d’un seul, mais un livre gagne souvent à être le résultat d’un travail d’équipe, toute cette chaîne qui va de l’auteur au libraire ou bibliothécaire en passant par l’éditeur, le correcteur, le graphiste, l’imprimeur…
6- À l’aube de la sortie du livre, prévue le 13 février de cette année, envisagez-vous de donner une suite aux aventures de Léa, ou préférez-vous plutôt céder à l’appel du tout beau tout neuf ? Je ne sais pas trop. Le personnage de l’arrière-grand-père de Quentin m’intéresse, et je me demande s’il n’aurait pas laissé quelque aventure ou quelque secret à Zombiville pour que Léa et ses amis aient de quoi se distraire tout en préparant le bac de français. J’ai d’ailleurs écrit deux versions d’un premier chapitre… Mais je n’ai pas l’horizon aussi dégagé qu’avant, car il s’agit de partir de personnages et d’un contexte qui existent déjà, pas de les imaginer et de les remodeler au fur et à mesure que j’écris. Et je n’ai pas de date butoir pour me motiver… Si je croise des lecteurs et lectrices en dédicaces, peut-être qu’ils me donneront des idées, pour une suite ou pour quelque chose de tout à fait différent. En écriture, je me fie au hasard et je laisse les mots écrire.
7- Mon petit doigt m’a dit que l’observation de la vie quotidienne influait beaucoup sur votre façon d’écrire. Est-ce selon vous nécessaire pour rendre une histoire crédible ? Faut-il absolument se dissocier de ses personnages, ou laisser notre propre personnalité à travers eux ? Plus que sur l’observation précise, je m’appuie sur la cueillette d’éléments disparates dans la réalité qui m’entoure. Par exemple, le nom de famille de Léa, Calvino, vient du fait que mes yeux sont tombés sur les livres d’Italo Calvino dans ma bibliothèque. Et comme je l’ai dit, le personnage de Léa est lui-même né d’une adolescente dont le survêtement flashy et l’air pensif m’avait surpris tandis que je payais mes courses à la supérette du coin. Quelques minutes plus tard, j’ai vu l’affiche du concours Gallimard et je me suis dit : « Et si j’écrivais l’histoire d’une jeune fille qui aime courir et qui réfléchit beaucoup. » J’avais connu quelqu’un de sportif et pensif, et des traits de personnalité d’autres personnes sont venus s’y greffer. L’idée n’est pas de copier la réalité, mais de lui offrir un miroir. « Mentir vrai », comme disait Aragon (je crois). J’ai des points communs avec les principaux personnages du livre, mais aucun n’est moi. Écrire, c’est parler de ce qui nous tient à cœur, de ce qui nous émeut, laisser venir les sentiments profonds, piocher dans nos souvenirs, mais sans les recracher tels quels, sinon ce n’est pas ni très créatif et ni très amusant à faire. Je n’ai jamais aimé les sujets du genre : « Racontez vos vacances. » Certes, je me suis un peu documenté en écrivant, j’ai lu ce qui se racontait sur des blogs et des forums destinés aux adolescents et j’ai visité des sites Internet de lycées, mais tout cela restait très secondaire par rapport à la dynamique qui animait les personnages. Suivre les désirs des personnages, c’est l’essentiel.
8- On vous sait désormais auteur, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Exception faite de son talent pour la langue de Molière, comment devient-on correcteur ?Le mieux est de suivre une formation à ce métier. Il y a celle du Centre d’écriture et de communication, à Paris. Et, sans doute la plus complète, celle de Formacom. Les filières éditions des universités doivent aussi dispenser une petite formation à la correction. Mais il faut savoir que c’est un métier où l’on ne fait pas fortune et où il y a peu de places à prendre (et sans doute de moins en moins). Il demande aussi d’être un peu obsessionnel, d’avoir une culture générale assez diversifiée, et de douter de tout. Il s’agit de vérifier non seulement l’orthographe et la syntaxe, mais aussi la typographie, de vérifier les faits, de veiller à la cohérence du texte, et de fluidifier le style, si besoin… Ce que je préfère personnellement, c’est la révision de traduction, parce qu’il y a cette tension entre le texte traduit et l’original qu’il ne faut pas trahir sans y rester collé non plus.
9- Quels seraient vos conseils à de jeunes écrivains en devenir désireux de s’améliorer ?Lire en essayant de comprendre comment fonctionnent les textes des autres, idem en regardant un film ou une série. Écrire en s’amusant. Douter après avoir écrit. Réécrire. Et montrer ses textes. Les faire lire hors de son cercle familial, en participant à des concours de nouvelles ou de poésie, à un atelier d’écriture, à une communauté en ligne comme Plume d’Argent, ou même pratiquer quelques jeux littéraires entre amis (par exemple, tirer cinq mots au sort et tenter de les placer dans un texte écrit en une demi-heure chrono, puis on se lit le résultat obtenu ; pour avoir des idées de jeux, écoutez les Papous dans la tête sur France Culture). Parallèlement à cela, pour prendre un peu de recul théorique et essayer de comprendre pourquoi un texte « marche » (ou pas), on peut étudier quelques manuels d’écriture. « Il n’y a pas de “il faut” en art », comme disait le peintre Kandinsky, mais il est bon de connaître les règles du jeu auquel on joue. Au cours des années, j’ai donc potassé divers manuels d’écriture (de fiction et de scénario), pour la plupart écrits par des Anglo-Saxons… Ceux-ci ont une approche beaucoup plus artisanale et « terre à terre » de l’écriture. Si l’anglais ne vous fait pas peur, je vous recommande :
- Characters and Viewpoint, de O.S. Card ;
- Crafting Scenes, de R. Obstfeld ;
- Word Painting, de R. McClanahan (sur l’art de la description) ;
- Writing for emotional impact, Karl Iglesias ;
- From where you dream, de Robert Olen Butler, basé sur les cours de creative writing (à visée « littéraire ») qu’il donne à la Florida State University. Et allez jeter un œil sur son expérience vidéo (non sous-titrée, hélas) où on le voit écrire une nouvelle et commenter son propre processus d’écriture depuis l’idée initiale jusqu’au texte fini : www.fsu.edu/~butler/
Et en français :
- Anatomie du scénario, de John Truby ;
- Écrire le scénario, de M. Chion ;
- Le guide du scénariste, de C. Vogler (je n’ai pas directement lu celui-ci, mais seulement les travaux d’anthropologie dont il s’inspire).
Et pour voir une expérience d’atelier d’écriture récente en français : http://www.lesnouveauxtalents.fr/category/ateliers-d-ecriture/
10- Sur une note un peu plus fantaisiste, tout auteur traîne dans ses placards des cadavres de feuilles ou autres cahiers agonisants, témoins gênants ou émouvants de nos débuts d’écrivain, parlez-nous un peu du « Fédéral Bureau des Oursons Secrets »… Il y a un petit garçon de 8 ans qui attendait cette question depuis 30 ans ! J’ai d’ailleurs retrouvé ce premier texte il n’y a pas longtemps. Ses principales caractéristiques étaient des bruitages sous forme d’onomatopées d’une ligne ou deux, des méchants trafiquants de drogue à l’accent colombien très prononcé, et beaucoup d’action, dont une remarquable cascade où le héros, mon ours en peluche, sautait d’un avion pour atterrir sur un autre avion, le tout en plein vol bien évidemment. Ce que j’écris aujourd’hui est beaucoup plus calme…
Au menu de ce nouveau numéro, PaNoWriMo oblige, le forum s’est plongé dans son ambiance la plus studieuse. Les auteurs en herbe rivalisent d’imagination, les mots fusent, les thèmes inspirent et chacun donne le meilleur de lui-même pour faire avancer ses histoires. Alors quoi de plus logique que d’aller fureter du côté d’un véritable auteur pour glaner quelques précieux conseils ?
J’ai donc choisi un auteur que nous connaissons tous, j’ai nommé Fabrice Emont. Mais si, réfléchissez, Fabrice est l’un des finalistes du fameux concours premier roman de Gallimard Jeunesse. L’un des concurrents de notre Cricri nationale, et auteur du très bon « Dis-moi qu’il y a un ouragan », disponible dans toutes les bonnes librairies. En exclusivité sur PA, il accepte de répondre à nos questions.
1- On a tous en nous ce petit grain de folie que certains décident un jour de développer. Que ce soit au travers de la musique, du dessin ou encore de l’écriture, on a tous nos raisons de prendre la plume et monter au créneau. Quelle a été la vôtre ? J’écris depuis que j’ai 7 ou 8 ans. Je savais par mon éducation que les livres étaient une belle chose mais je n’aimais pas lire ; par contre, j’ai toujours aimé « créer » et inventer des choses. Je dessine parfois, je joue un peu de piano (très mal). L’idée d’écrire un roman a donc toujours été là, ponctuée de tentatives… jamais achevées. Certes, j’écrivais des poèmes (obscurs) et des nouvelles, dont certaines sélectionnées dans des concours. Mais, à vrai dire, à plus de 36 ans, au moment où l’affiche du concours Gallimard Jeunesse m’est tombée sous les yeux, j’étais sur le point d’abandonner l’idée d’essayer de publier ou même d’écrire un roman. D’ailleurs, devant l’affiche, j’ai hésité, et c’est surtout poussé par l’énergie du désespoir que je me suis dit : « Si ce n’est pas cette fois, ce ne se sera jamais ! » J’ai regardé les conditions : « Public de lecteurs de 9 à 18 ans. 18 + 9 = 27, divisé par 2, cela fait 13,5. Donc je pourrais écrire sur un personnage de 14-15 ans… » Et là a surgi dans ma tête l’image d’une adolescente que je venais de voir à la caisse de la supérette quelques minutes plus tôt : j’avais mon héroïne. Le lendemain matin, la première phrase est venue pendant que j’écoutais la radio dans ma salle de bains, puis je suis parti à l’aventure en n’ayant qu’un but : avoir écrit une histoire complète d’au moins 120 000 signes pour le 31 août. La date butoir m’a beaucoup aidé, car elle « matérialisait » la fin, la ligne d’arrivée du marathon.
2- En tant qu’auteur, a fortiori débutant, on voit toujours les maisons d’édition comme une forteresse imprenable pleine de dragons à visage humain et de magiciens du papier. Mais à votre avis, est-ce aussi terrible qu’on le dit ? L’édition est une industrie culturelle. Donc, il y a la partie culturelle, artistique, où règne l’émotion, le ressenti de ceux qui lisent et de ceux qui écrivent, et il y a la partie industrielle, où les considérations techniques et économiques priment. Les individus qui participent à la « chaîne du livre » sont ainsi pris entre ces deux feux, ce qui n’est pas toujours facile. Et comme tout milieu, celui de l’édition peut avoir tendance à se replier sur lui-même... Mais tous les éditeurs que j’ai rencontrés m’ont paru plutôt sympathiques et ouverts d’esprit. En tout cas, aucun ne crachait de feu ! Et il n’est pas vrai que seul le copinage permette de se faire publier. Christelle Dabos, Philippe Laborde et moi en avons fait l’expérience, car nous étions tous les trois aussi surpris d’avoir été sélectionnés par Gallimard Jeunesse. Si on a tendance à voir les maisons d’édition comme des forteresses surnaturelles, c’est peut-être surtout parce que l’écriture est notre part de magie à nous, et qu’il n’y a pas de magie digne de ce nom sans quelques monstres et sorciers à terrasser…
3- En tant que membre de Plume d’Argent et fan-club officiel de Christelle Dabos, nous avons suivi de très près l’évolution du concours premier roman de Gallimard, dont vous étiez également finaliste. Félicitations. Comment vit-on dans la peau d’un finaliste ? La peur au ventre ou l’extase du challenger au sommet de son art ? Quand j’ai lu le texte de Christelle, j’ai tout de suite su qu’elle allait être la gagnante, parce que son texte me semblait avoir un souffle épique, une ampleur imaginative et une richesse descriptive avec lesquels il est bien difficile de rivaliser. Donc, pas suspense de ce côté-là. Quelques commentaires de candidats déçus sur Internet qui disaient que mon texte, au langage pas toujours très orthodoxe, sonnait la « mort de la littérature jeunesse » étaient assez troublants, quoique amusants, au fond. Ce que je me demandais surtout, c’était si quelques jeunes lecteurs et lectrices se reconnaîtraient dans ce que j’avais écrit. J’ai eu la plus charmante des réponses à cette question en découvrant qu’une jeune fille avait créé un blog pour faire connaître mon texte, parce qu’elle s’était reconnue dans Léa, la narratrice du roman. Quant à être au « sommet de son art », ma manie de la réécriture fait que je ne suis jamais entièrement content de ce que j’ai écrit. Ainsi, entre la version mise en ligne pour le concours et la version papier qui va sortir en librairie, je n’ai pu m’empêcher d’apporter au texte mille petites modifications (sans changer l’histoire, bien sûr)…
4- Aujourd’hui Gallimard décide de vous faire confiance en publiant votre roman. Une belle récompense pour conclure une belle aventure. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? La rédaction de « Dis-moi qu’il y a un ouragan » a-t-elle connu les jours de pluie, la page blanche ou encore les doutes ? J’écrivais au jour le jour, sans avoir une idée précise d’où j’allais. Je me laissais porter par la voix de Léa, en intégrant des éléments trouvés ici et là. Parfois les suggestions venaient de mots tirés aux sorts (par un générateur aléatoire inclus dans le traitement de texte que j’ai programmé pour mon usage), le meilleur exemple étant le titre du livre, purement aléatoire mais qui m’a guidé jusqu’à la fin. Parfois c’est une personne croisée dans la rue qui m’inspirait : le grand-père de Léa est « né » d’un imposant Breton barbu que j’ai vu en grande discussion dans une petite voiture noire avec une ado qui devait être sa petite-fille. Et ainsi de suite. Tout allait bien jusqu’au chapitre 11, où a surgi le gros blocage. Jusque-là, l’histoire était du genre fantastique, avec une sorte de créature qui, à la manière d’un vampire, aspirait l’énergie vitale – c’est pourquoi, au départ, le personnage de Quentin était maigre et pâle. Mais je me suis aperçu en plein milieu du livre que je n’étais pas du tout convaincu par cette idée et que je ne trouvais pas de développement qui me donnait envie de continuer à écrire. Pendant deux jours, j’ai désespérément cogité pour déterminer quelle nouvelle direction prendre, comment faire à nouveau fonctionner l’histoire. Et c’est quand j’ai décidé de remplacer la magie par l’amour et la poésie, donc d’écrire un récit « réaliste » et non fantastique, que tout s’est débloqué. Mais là encore je ne suivais pas de plan précis, juste un « arc » en sept étapes (la méthode exposée par la prof d’arts visuels dans le roman est à peu près celle que je suis ; cela m’amusait d’écrire un roman sur une histoire en train de s’écrire, et de tester si ma « théorie » pouvait donner un résultat concret). Le texte final n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé au départ, mais il s’était développé de manière « organique » sur le terreau des idées abandonnées et de souvenirs fugitifs. Ensuite, il y a eu d’innombrables réécritures. Le regard critique de ma sœur m’a accompagné tout le long du processus, car elle lisait les chapitres au fur et à mesure et me donnait son avis. Puis Gallimard m’a fait quelques suggestions de modification avant la mise en ligne. Et enfin, j’ai passé un mois à réécrire pour la publication papier. Le temps de beaucoup douter encore.
5- À l’heure d’Internet et des nouvelles technologies, l’autopublication devient une arme de choix dans l’arsenal de l’auteur débutant, est-ce que cette aventure vous a déjà tenté ? Non. J’aime l’idée d’un « filtrage » professionnel, d’un regard extérieur sur le texte. Le texte est l’œuvre d’un seul, mais un livre gagne souvent à être le résultat d’un travail d’équipe, toute cette chaîne qui va de l’auteur au libraire ou bibliothécaire en passant par l’éditeur, le correcteur, le graphiste, l’imprimeur…
6- À l’aube de la sortie du livre, prévue le 13 février de cette année, envisagez-vous de donner une suite aux aventures de Léa, ou préférez-vous plutôt céder à l’appel du tout beau tout neuf ? Je ne sais pas trop. Le personnage de l’arrière-grand-père de Quentin m’intéresse, et je me demande s’il n’aurait pas laissé quelque aventure ou quelque secret à Zombiville pour que Léa et ses amis aient de quoi se distraire tout en préparant le bac de français. J’ai d’ailleurs écrit deux versions d’un premier chapitre… Mais je n’ai pas l’horizon aussi dégagé qu’avant, car il s’agit de partir de personnages et d’un contexte qui existent déjà, pas de les imaginer et de les remodeler au fur et à mesure que j’écris. Et je n’ai pas de date butoir pour me motiver… Si je croise des lecteurs et lectrices en dédicaces, peut-être qu’ils me donneront des idées, pour une suite ou pour quelque chose de tout à fait différent. En écriture, je me fie au hasard et je laisse les mots écrire.
7- Mon petit doigt m’a dit que l’observation de la vie quotidienne influait beaucoup sur votre façon d’écrire. Est-ce selon vous nécessaire pour rendre une histoire crédible ? Faut-il absolument se dissocier de ses personnages, ou laisser notre propre personnalité à travers eux ? Plus que sur l’observation précise, je m’appuie sur la cueillette d’éléments disparates dans la réalité qui m’entoure. Par exemple, le nom de famille de Léa, Calvino, vient du fait que mes yeux sont tombés sur les livres d’Italo Calvino dans ma bibliothèque. Et comme je l’ai dit, le personnage de Léa est lui-même né d’une adolescente dont le survêtement flashy et l’air pensif m’avait surpris tandis que je payais mes courses à la supérette du coin. Quelques minutes plus tard, j’ai vu l’affiche du concours Gallimard et je me suis dit : « Et si j’écrivais l’histoire d’une jeune fille qui aime courir et qui réfléchit beaucoup. » J’avais connu quelqu’un de sportif et pensif, et des traits de personnalité d’autres personnes sont venus s’y greffer. L’idée n’est pas de copier la réalité, mais de lui offrir un miroir. « Mentir vrai », comme disait Aragon (je crois). J’ai des points communs avec les principaux personnages du livre, mais aucun n’est moi. Écrire, c’est parler de ce qui nous tient à cœur, de ce qui nous émeut, laisser venir les sentiments profonds, piocher dans nos souvenirs, mais sans les recracher tels quels, sinon ce n’est pas ni très créatif et ni très amusant à faire. Je n’ai jamais aimé les sujets du genre : « Racontez vos vacances. » Certes, je me suis un peu documenté en écrivant, j’ai lu ce qui se racontait sur des blogs et des forums destinés aux adolescents et j’ai visité des sites Internet de lycées, mais tout cela restait très secondaire par rapport à la dynamique qui animait les personnages. Suivre les désirs des personnages, c’est l’essentiel.
8- On vous sait désormais auteur, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Exception faite de son talent pour la langue de Molière, comment devient-on correcteur ?Le mieux est de suivre une formation à ce métier. Il y a celle du Centre d’écriture et de communication, à Paris. Et, sans doute la plus complète, celle de Formacom. Les filières éditions des universités doivent aussi dispenser une petite formation à la correction. Mais il faut savoir que c’est un métier où l’on ne fait pas fortune et où il y a peu de places à prendre (et sans doute de moins en moins). Il demande aussi d’être un peu obsessionnel, d’avoir une culture générale assez diversifiée, et de douter de tout. Il s’agit de vérifier non seulement l’orthographe et la syntaxe, mais aussi la typographie, de vérifier les faits, de veiller à la cohérence du texte, et de fluidifier le style, si besoin… Ce que je préfère personnellement, c’est la révision de traduction, parce qu’il y a cette tension entre le texte traduit et l’original qu’il ne faut pas trahir sans y rester collé non plus.
9- Quels seraient vos conseils à de jeunes écrivains en devenir désireux de s’améliorer ?Lire en essayant de comprendre comment fonctionnent les textes des autres, idem en regardant un film ou une série. Écrire en s’amusant. Douter après avoir écrit. Réécrire. Et montrer ses textes. Les faire lire hors de son cercle familial, en participant à des concours de nouvelles ou de poésie, à un atelier d’écriture, à une communauté en ligne comme Plume d’Argent, ou même pratiquer quelques jeux littéraires entre amis (par exemple, tirer cinq mots au sort et tenter de les placer dans un texte écrit en une demi-heure chrono, puis on se lit le résultat obtenu ; pour avoir des idées de jeux, écoutez les Papous dans la tête sur France Culture). Parallèlement à cela, pour prendre un peu de recul théorique et essayer de comprendre pourquoi un texte « marche » (ou pas), on peut étudier quelques manuels d’écriture. « Il n’y a pas de “il faut” en art », comme disait le peintre Kandinsky, mais il est bon de connaître les règles du jeu auquel on joue. Au cours des années, j’ai donc potassé divers manuels d’écriture (de fiction et de scénario), pour la plupart écrits par des Anglo-Saxons… Ceux-ci ont une approche beaucoup plus artisanale et « terre à terre » de l’écriture. Si l’anglais ne vous fait pas peur, je vous recommande :
- Characters and Viewpoint, de O.S. Card ;
- Crafting Scenes, de R. Obstfeld ;
- Word Painting, de R. McClanahan (sur l’art de la description) ;
- Writing for emotional impact, Karl Iglesias ;
- From where you dream, de Robert Olen Butler, basé sur les cours de creative writing (à visée « littéraire ») qu’il donne à la Florida State University. Et allez jeter un œil sur son expérience vidéo (non sous-titrée, hélas) où on le voit écrire une nouvelle et commenter son propre processus d’écriture depuis l’idée initiale jusqu’au texte fini : www.fsu.edu/~butler/
Et en français :
- Anatomie du scénario, de John Truby ;
- Écrire le scénario, de M. Chion ;
- Le guide du scénariste, de C. Vogler (je n’ai pas directement lu celui-ci, mais seulement les travaux d’anthropologie dont il s’inspire).
Et pour voir une expérience d’atelier d’écriture récente en français : http://www.lesnouveauxtalents.fr/category/ateliers-d-ecriture/
10- Sur une note un peu plus fantaisiste, tout auteur traîne dans ses placards des cadavres de feuilles ou autres cahiers agonisants, témoins gênants ou émouvants de nos débuts d’écrivain, parlez-nous un peu du « Fédéral Bureau des Oursons Secrets »… Il y a un petit garçon de 8 ans qui attendait cette question depuis 30 ans ! J’ai d’ailleurs retrouvé ce premier texte il n’y a pas longtemps. Ses principales caractéristiques étaient des bruitages sous forme d’onomatopées d’une ligne ou deux, des méchants trafiquants de drogue à l’accent colombien très prononcé, et beaucoup d’action, dont une remarquable cascade où le héros, mon ours en peluche, sautait d’un avion pour atterrir sur un autre avion, le tout en plein vol bien évidemment. Ce que j’écris aujourd’hui est beaucoup plus calme…
Le roman de Fabrice Emont maintenant en librairie |
Et voilà Plumettes et Plumeaux, c’est déjà fini. Nous remercions chaleureusement Fabrice Emont pour sa participation, sa sympathie et ses réponses sincères. Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir plus en détails sa plume, je vous invite à consulter le site internet de Gallimard jeunesse, ou à feuilleter les pages de son livre « Dis-moi qu’il y a un ouragan » qui est sorti le 13 février.
A bientôt pour un nouveau Paroles de Pros.
C’était Shao déjà en quête d’interviews inédites
Shaoran
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