Coucou les plumes,
Au
menu de ce nouveau numéro, PaNoWriMo oblige, le forum s’est plongé dans
son ambiance la plus studieuse. Les auteurs en herbe rivalisent
d’imagination, les mots fusent, les thèmes inspirent et chacun donne le
meilleur de lui-même pour faire avancer ses histoires. Alors quoi de
plus logique que d’aller fureter du côté d’un véritable auteur pour
glaner quelques précieux conseils ?
J’ai donc choisi un auteur
que nous connaissons tous, j’ai nommé Fabrice Emont. Mais si,
réfléchissez, Fabrice est l’un des finalistes du fameux concours premier
roman de Gallimard Jeunesse. L’un des concurrents de notre Cricri
nationale, et auteur du très bon « Dis-moi qu’il y a un ouragan »,
disponible dans toutes les bonnes librairies. En exclusivité sur PA, il
accepte de répondre à nos questions.
1-
On a tous en nous ce petit grain de folie que certains décident un jour
de développer. Que ce soit au travers de la musique, du dessin ou
encore de l’écriture, on a tous nos raisons de prendre la plume et
monter au créneau. Quelle a été la vôtre ? J’écris depuis que
j’ai 7 ou 8 ans. Je savais par mon éducation que les livres étaient une
belle chose mais je n’aimais pas lire ; par contre, j’ai toujours aimé «
créer » et inventer des choses. Je dessine parfois, je joue un peu de
piano (très mal). L’idée d’écrire un roman a donc toujours été là,
ponctuée de tentatives… jamais achevées. Certes, j’écrivais des poèmes
(obscurs) et des nouvelles, dont certaines sélectionnées dans des
concours. Mais, à vrai dire, à plus de 36 ans, au moment où l’affiche du
concours Gallimard Jeunesse m’est tombée sous les yeux, j’étais sur le
point d’abandonner l’idée d’essayer de publier ou même d’écrire un
roman. D’ailleurs, devant l’affiche, j’ai hésité, et c’est surtout
poussé par l’énergie du désespoir que je me suis dit : « Si ce n’est pas
cette fois, ce ne se sera jamais ! » J’ai regardé les conditions : «
Public de lecteurs de 9 à 18 ans. 18 + 9 = 27, divisé par 2, cela fait
13,5. Donc je pourrais écrire sur un personnage de 14-15 ans… » Et là a
surgi dans ma tête l’image d’une adolescente que je venais de voir à la
caisse de la supérette quelques minutes plus tôt : j’avais mon héroïne.
Le lendemain matin, la première phrase est venue pendant que j’écoutais
la radio dans ma salle de bains, puis je suis parti à l’aventure en
n’ayant qu’un but : avoir écrit une histoire complète d’au moins 120 000
signes pour le 31 août. La date butoir m’a beaucoup aidé, car elle «
matérialisait » la fin, la ligne d’arrivée du marathon.
2-
En tant qu’auteur, a fortiori débutant, on voit toujours les maisons
d’édition comme une forteresse imprenable pleine de dragons à visage
humain et de magiciens du papier. Mais à votre avis, est-ce aussi
terrible qu’on le dit ? L’édition est une industrie
culturelle. Donc, il y a la partie culturelle, artistique, où règne
l’émotion, le ressenti de ceux qui lisent et de ceux qui écrivent, et il
y a la partie industrielle, où les considérations techniques et
économiques priment. Les individus qui participent à la « chaîne du
livre » sont ainsi pris entre ces deux feux, ce qui n’est pas toujours
facile. Et comme tout milieu, celui de l’édition peut avoir tendance à
se replier sur lui-même... Mais tous les éditeurs que j’ai rencontrés
m’ont paru plutôt sympathiques et ouverts d’esprit. En tout cas, aucun
ne crachait de feu ! Et il n’est pas vrai que seul le copinage permette
de se faire publier. Christelle Dabos, Philippe Laborde et moi en avons
fait l’expérience, car nous étions tous les trois aussi surpris d’avoir
été sélectionnés par Gallimard Jeunesse. Si on a tendance à voir les
maisons d’édition comme des forteresses surnaturelles, c’est peut-être
surtout parce que l’écriture est notre part de magie à nous, et qu’il
n’y a pas de magie digne de ce nom sans quelques monstres et sorciers à
terrasser…
3- En tant que membre
de Plume d’Argent et fan-club officiel de Christelle Dabos, nous avons
suivi de très près l’évolution du concours premier roman de Gallimard,
dont vous étiez également finaliste. Félicitations. Comment vit-on dans
la peau d’un finaliste ? La peur au ventre ou l’extase du challenger au
sommet de son art ? Quand j’ai lu le texte de Christelle,
j’ai tout de suite su qu’elle allait être la gagnante, parce que son
texte me semblait avoir un souffle épique, une ampleur imaginative et
une richesse descriptive avec lesquels il est bien difficile de
rivaliser. Donc, pas suspense de ce côté-là. Quelques commentaires de
candidats déçus sur Internet qui disaient que mon texte, au langage pas
toujours très orthodoxe, sonnait la « mort de la littérature jeunesse »
étaient assez troublants, quoique amusants, au fond. Ce que je me
demandais surtout, c’était si quelques jeunes lecteurs et lectrices se
reconnaîtraient dans ce que j’avais écrit. J’ai eu la plus charmante des
réponses à cette question en découvrant qu’une jeune fille avait créé
un blog pour faire connaître mon texte, parce qu’elle s’était reconnue
dans Léa, la narratrice du roman. Quant à être au « sommet de son art »,
ma manie de la réécriture fait que je ne suis jamais entièrement
content de ce que j’ai écrit. Ainsi, entre la version mise en ligne pour
le concours et la version papier qui va sortir en librairie, je n’ai pu
m’empêcher d’apporter au texte mille petites modifications (sans
changer l’histoire, bien sûr)…
4-
Aujourd’hui Gallimard décide de vous faire confiance en publiant votre
roman. Une belle récompense pour conclure une belle aventure. Mais en
a-t-il toujours été ainsi ? La rédaction de « Dis-moi qu’il y a un
ouragan » a-t-elle connu les jours de pluie, la page blanche ou encore
les doutes ? J’écrivais au jour le jour, sans avoir une idée
précise d’où j’allais. Je me laissais porter par la voix de Léa, en
intégrant des éléments trouvés ici et là. Parfois les suggestions
venaient de mots tirés aux sorts (par un générateur aléatoire inclus
dans le traitement de texte que j’ai programmé pour mon usage), le
meilleur exemple étant le titre du livre, purement aléatoire mais qui
m’a guidé jusqu’à la fin. Parfois c’est une personne croisée dans la rue
qui m’inspirait : le grand-père de Léa est « né » d’un imposant Breton
barbu que j’ai vu en grande discussion dans une petite voiture noire
avec une ado qui devait être sa petite-fille. Et ainsi de suite. Tout
allait bien jusqu’au chapitre 11, où a surgi le gros blocage. Jusque-là,
l’histoire était du genre fantastique, avec une sorte de créature qui, à
la manière d’un vampire, aspirait l’énergie vitale – c’est pourquoi, au
départ, le personnage de Quentin était maigre et pâle. Mais je me suis
aperçu en plein milieu du livre que je n’étais pas du tout convaincu par
cette idée et que je ne trouvais pas de développement qui me donnait
envie de continuer à écrire. Pendant deux jours, j’ai désespérément
cogité pour déterminer quelle nouvelle direction prendre, comment faire à
nouveau fonctionner l’histoire. Et c’est quand j’ai décidé de remplacer
la magie par l’amour et la poésie, donc d’écrire un récit « réaliste »
et non fantastique, que tout s’est débloqué. Mais là encore je ne
suivais pas de plan précis, juste un « arc » en sept étapes (la méthode
exposée par la prof d’arts visuels dans le roman est à peu près celle
que je suis ; cela m’amusait d’écrire un roman sur une histoire en train
de s’écrire, et de tester si ma « théorie » pouvait donner un résultat
concret). Le texte final n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé
au départ, mais il s’était développé de manière « organique » sur le
terreau des idées abandonnées et de souvenirs fugitifs. Ensuite, il y a
eu d’innombrables réécritures. Le regard critique de ma sœur m’a
accompagné tout le long du processus, car elle lisait les chapitres au
fur et à mesure et me donnait son avis. Puis Gallimard m’a fait quelques
suggestions de modification avant la mise en ligne. Et enfin, j’ai
passé un mois à réécrire pour la publication papier. Le temps de
beaucoup douter encore.
5- À
l’heure d’Internet et des nouvelles technologies, l’autopublication
devient une arme de choix dans l’arsenal de l’auteur débutant, est-ce
que cette aventure vous a déjà tenté ? Non. J’aime l’idée
d’un « filtrage » professionnel, d’un regard extérieur sur le texte. Le
texte est l’œuvre d’un seul, mais un livre gagne souvent à être le
résultat d’un travail d’équipe, toute cette chaîne qui va de l’auteur au
libraire ou bibliothécaire en passant par l’éditeur, le correcteur, le
graphiste, l’imprimeur…
6- À
l’aube de la sortie du livre, prévue le 13 février de cette année,
envisagez-vous de donner une suite aux aventures de Léa, ou
préférez-vous plutôt céder à l’appel du tout beau tout neuf ? Je
ne sais pas trop. Le personnage de l’arrière-grand-père de Quentin
m’intéresse, et je me demande s’il n’aurait pas laissé quelque aventure
ou quelque secret à Zombiville pour que Léa et ses amis aient de quoi se
distraire tout en préparant le bac de français. J’ai d’ailleurs écrit
deux versions d’un premier chapitre… Mais je n’ai pas l’horizon aussi
dégagé qu’avant, car il s’agit de partir de personnages et d’un contexte
qui existent déjà, pas de les imaginer et de les remodeler au fur et à
mesure que j’écris. Et je n’ai pas de date butoir pour me motiver… Si je
croise des lecteurs et lectrices en dédicaces, peut-être qu’ils me
donneront des idées, pour une suite ou pour quelque chose de tout à fait
différent. En écriture, je me fie au hasard et je laisse les mots
écrire.
7- Mon petit doigt m’a
dit que l’observation de la vie quotidienne influait beaucoup sur votre
façon d’écrire. Est-ce selon vous nécessaire pour rendre une histoire
crédible ? Faut-il absolument se dissocier de ses personnages, ou
laisser notre propre personnalité à travers eux ? Plus que
sur l’observation précise, je m’appuie sur la cueillette d’éléments
disparates dans la réalité qui m’entoure. Par exemple, le nom de famille
de Léa, Calvino, vient du fait que mes yeux sont tombés sur les livres
d’Italo Calvino dans ma bibliothèque. Et comme je l’ai dit, le
personnage de Léa est lui-même né d’une adolescente dont le survêtement
flashy et l’air pensif m’avait surpris tandis que je payais mes courses à
la supérette du coin. Quelques minutes plus tard, j’ai vu l’affiche du
concours Gallimard et je me suis dit : « Et si j’écrivais l’histoire
d’une jeune fille qui aime courir et qui réfléchit beaucoup. » J’avais
connu quelqu’un de sportif et pensif, et des traits de personnalité
d’autres personnes sont venus s’y greffer. L’idée n’est pas de copier la
réalité, mais de lui offrir un miroir. « Mentir vrai », comme disait
Aragon (je crois). J’ai des points communs avec les principaux
personnages du livre, mais aucun n’est moi. Écrire, c’est parler de ce
qui nous tient à cœur, de ce qui nous émeut, laisser venir les
sentiments profonds, piocher dans nos souvenirs, mais sans les recracher
tels quels, sinon ce n’est pas ni très créatif et ni très amusant à
faire. Je n’ai jamais aimé les sujets du genre : « Racontez vos
vacances. » Certes, je me suis un peu documenté en écrivant, j’ai lu ce
qui se racontait sur des blogs et des forums destinés aux adolescents et
j’ai visité des sites Internet de lycées, mais tout cela restait très
secondaire par rapport à la dynamique qui animait les personnages.
Suivre les désirs des personnages, c’est l’essentiel.
8-
On vous sait désormais auteur, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Exception faite de son talent pour la langue de Molière, comment
devient-on correcteur ?Le mieux est de suivre une formation à
ce métier. Il y a celle du Centre d’écriture et de communication, à
Paris. Et, sans doute la plus complète, celle de Formacom. Les filières
éditions des universités doivent aussi dispenser une petite formation à
la correction. Mais il faut savoir que c’est un métier où l’on ne fait
pas fortune et où il y a peu de places à prendre (et sans doute de moins
en moins). Il demande aussi d’être un peu obsessionnel, d’avoir une
culture générale assez diversifiée, et de douter de tout. Il s’agit de
vérifier non seulement l’orthographe et la syntaxe, mais aussi la
typographie, de vérifier les faits, de veiller à la cohérence du texte,
et de fluidifier le style, si besoin… Ce que je préfère personnellement,
c’est la révision de traduction, parce qu’il y a cette tension entre le
texte traduit et l’original qu’il ne faut pas trahir sans y rester
collé non plus.
9- Quels seraient vos conseils à de jeunes écrivains en devenir désireux de s’améliorer ?Lire
en essayant de comprendre comment fonctionnent les textes des autres,
idem en regardant un film ou une série. Écrire en s’amusant. Douter
après avoir écrit. Réécrire. Et montrer ses textes. Les faire lire hors
de son cercle familial, en participant à des concours de nouvelles ou de
poésie, à un atelier d’écriture, à une communauté en ligne comme Plume
d’Argent, ou même pratiquer quelques jeux littéraires entre amis (par
exemple, tirer cinq mots au sort et tenter de les placer dans un texte
écrit en une demi-heure chrono, puis on se lit le résultat obtenu ; pour
avoir des idées de jeux, écoutez les Papous dans la tête sur France
Culture). Parallèlement à cela, pour prendre un peu de recul théorique
et essayer de comprendre pourquoi un texte « marche » (ou pas), on peut
étudier quelques manuels d’écriture. « Il n’y a pas de “il faut” en art
», comme disait le peintre Kandinsky, mais il est bon de connaître les
règles du jeu auquel on joue. Au cours des années, j’ai donc potassé
divers manuels d’écriture (de fiction et de scénario), pour la plupart
écrits par des Anglo-Saxons… Ceux-ci ont une approche beaucoup plus
artisanale et « terre à terre » de l’écriture. Si l’anglais ne vous fait
pas peur, je vous recommande :
- Characters and Viewpoint, de O.S. Card ;
- Crafting Scenes, de R. Obstfeld ;
- Word Painting, de R. McClanahan (sur l’art de la description) ;
- Writing for emotional impact, Karl Iglesias ;
-
From where you dream, de Robert Olen Butler, basé sur les cours de
creative writing (à visée « littéraire ») qu’il donne à la Florida State
University. Et allez jeter un œil sur son expérience vidéo (non
sous-titrée, hélas) où on le voit écrire une nouvelle et commenter son
propre processus d’écriture depuis l’idée initiale jusqu’au texte fini :
www.fsu.edu/~butler/
Et en français :
- Anatomie du scénario, de John Truby ;
- Écrire le scénario, de M. Chion ;
-
Le guide du scénariste, de C. Vogler (je n’ai pas directement lu
celui-ci, mais seulement les travaux d’anthropologie dont il s’inspire).
Et pour voir une expérience d’atelier d’écriture récente en français :
http://www.lesnouveauxtalents.fr/category/ateliers-d-ecriture/
10-
Sur une note un peu plus fantaisiste, tout auteur traîne dans ses
placards des cadavres de feuilles ou autres cahiers agonisants, témoins
gênants ou émouvants de nos débuts d’écrivain, parlez-nous un peu du «
Fédéral Bureau des Oursons Secrets »… Il y a un petit garçon
de 8 ans qui attendait cette question depuis 30 ans ! J’ai d’ailleurs
retrouvé ce premier texte il n’y a pas longtemps. Ses principales
caractéristiques étaient des bruitages sous forme d’onomatopées d’une
ligne ou deux, des méchants trafiquants de drogue à l’accent colombien
très prononcé, et beaucoup d’action, dont une remarquable cascade où le
héros, mon ours en peluche, sautait d’un avion pour atterrir sur un
autre avion, le tout en plein vol bien évidemment. Ce que j’écris
aujourd’hui est beaucoup plus calme…