Rendre ses personnages attachants
J’ai demandé l’autre jour sur le forum s’il y avait des sujets que
vous aimeriez que je traite. Vous avez été nombreux à me faire des
suggestions vraiment intéressantes, merci beaucoup ! Aujourd’hui, je
vais essayer de répondre à la question posée par Aranck : comment rendre
ses personnages attachants ? Déjà, qu'entendons-nous par un personnage «
attachant » ? Ce sera, dirons-nous, un personnage qui inspire au
lecteur un sentiment d'empathie, de sympathie même. Le personnage auquel
le lecteur s'attache, c'est celui auquel il s'identifie ou qui le
touche personnellement. Comment nous, auteurs, pouvons-nous favoriser
cette belle rencontre entre eux ?
Un héros trop parfait
Je ne sais pas pour vous, mais moi, dans mes premières histoires, plus
j'aimais mon personnage, plus je voulais que le lecteur l'aime aussi.
J'estompais au maximum ses petits défauts (qui n'en étaient pas vraiment
d'ailleurs) et je braquais tous les projecteurs sur ses qualités : «
Voyez comme il est brillant, chevaleresque et plein de grandeur d'âme !
Voyez comme il n'hésite pas à se sacrifier pour les autres ! » ou encore
« Voyez comme elle est décomplexée ! Voyez comme elle est aimée et
admirée de tous les autres protagonistes ! Et par-dessus le marché,
voyez comme elle est dotée de superpouvoirs inégalables ! » Je ne
cumulais pas alors plus de trois lectrices (Plume d'Argent n'existait
pas encore) et je ne comprenais pas POURQUOI elles s'attachaient
davantage à mes personnages secondaires, voire à mes méchants, plutôt
qu'à mes héros. À présent, je le sais. Parce que mes héros
correspondaient à un fantasme personnel, ils étaient le reflet de mon
idéal, la femme que j'aurais voulu être ou l'homme que j'aurais voulu
rencontrer (oui, je n'avais pas CET non plus en ce temps-là... triste
époque). Et plus j'essayais de les rendre encore plus cool et encore
plus formidables, moins je faisais mouche.
La leçon que j'en
ai tirée ? Un personnage trop parfait, dépourvu de zones d'ombre, de
faiblesses et d'aspérité, qui jamais ne se met en colère, qui jamais ne
doute et qui dénoue tous les problèmes en un tournemain, bref une
personne à qui tout réussit est hors d'accès pour notre lecteur. Ce
dernier ne peut pas s'identifier à lui et n'a envie ni de le plaindre ni
de se réjouir pour lui. Un personnage idéalisé n'est attachant que pour
l'auteur.
Le anti-héros
L'auteur peut dès lors prendre le parti inverse et créer un
anti-héros, ce qui est en soi une démarche intéressante. Mais attention :
anti-héros ne signifie pas forcément antipathique. À trop vouloir
forcer le trait et cribler son personnage de vices, on court le risque
de le rendre insupportable… et l'affubler d'un jolis minois ne le rendra
pas plus attachant. Là encore, tout se joue au niveau du processus
d'identification : le lecteur n'aura pas envie de ressembler à un
personnage lâche ou odieux, pas plus qu'il ne ressentira de la pitié ou
de la fierté pour lui.
Votre anti-héros deviendra en
revanche beaucoup plus attachant si vous le pensez en plein et non en
creux. Plutôt qu'un personnage mou et passif qui subit l'histoire de A à
Z (Ophélie, dans la première version de la Passe-miroir, avait cette
tendance), faites de lui le vrai moteur du récit, celui qui crée sa
dynamique ou qui y contribue, à travers une cause à laquelle il se
dédie, une passion qui le transcende, une motivation personnelle forte.
Et surtout, ne lui épargnez aucune épreuve, aucun doute, aucun
découragement : ce sont eux, et la façon dont votre personnage les
surmonte, qui susciteront peut-être les plus belles émotions chez votre
lecteur... Et chez nous aussi, auteurs, soit dit en passant.
Une personnalité crédible
Si je devais faire un résumé simplifié des deux points précédents, je
dirais que pour rendre un personnage attachant, en somme, il ne doit
être ni trop parfait, ni trop imparfait, et surtout, il doit en baver.
Tout est dans le dosage. Même une fois que vous lui avez attribué des
lignes de force et des zones d'ombre, il va vous falloir faire
continuellement attention à ce que ça sonne juste !
Concrètement, ça signifie trois choses :
1) « don't tell, show »
Il ne suffit pas de déclarer au début de l'histoire : « Trucmuche est
un personnage à fleur de peau, parfois exagérément susceptible, mais
aussi capable d'une très belle personnalité » et puis ne plus jamais
revenir dessus par la suite. Il ne s'agit pas non plus de tricher en
passant par le regard des autres protagonistes de l'histoire pour
définir la personnalité de votre héros. Non, c'est à travers ses actes,
ses choix, ses pensées tout au long du récit que le caractère du
personnage ressortira, avec ses manies, ses complexes et ses moments de
grâce.
2) N'en faites pas des tonnes
Encore une
fois, gare au retour de balancier, il ne s'agit pas non plus de tomber
dans le travers inverse en forçant le trait. Votre personnage est
susceptible ? Ça ne signifie pas qu'il doit se vexer toutes les dix
lignes. Votre personnage est autoritaire ? Ça ne veut pas dire qu'il
doit donner un ordre à chaque dialogue. Un personnage trop caricatural
sera moins attachant pour le lecteur. Préférons-lui une personnalité
plus complexe, plus nuancée et, pourquoi pas, ambivalente.
3) Surprenez le lecteur
Doter votre personnage d’une force ou d’une faiblesse ne signifie pas
qu’il doit être égal à lui-même de bout en bout. Votre héros peut être
foncièrement bon, mais se montrer parfois injuste ou égoïste. Votre
antihéros peut avoir un vice sans pour autant s’y adonner et s’y
complaire sans jamais lutter contre lui. En tant que lectrice, mes plus
beaux moments de jubilation se sont produits en voyant un personnage
oser faire enfin une chose dont je ne le pensais pas capable. Ça m’a
particulièrement frappée dans les fictions de Flammy où les personnages
m’ont réservé l’un après l’autre des surprises absolument inattendues.
Je suis tombée raide dingue de chacun d’entre eux ! Bref, un personnage
attachant, c’est un personnage qui n’est pas figé dans le marbre, qui
est capable de nous prendre au dépourvu et faire naître en nous une
émotion plus puissante qu’elle ne l’aurait été s’il n’y avait pas eu ce
facteur de surprise. Les personnages attachants, ce sont qui évoluent au
fil du récit et qui le font dans la douleur (eh, regardez un peu Jamie
dans « le Trône de fer »).
En conclusion, j’insisterai sur
l’importance de l’émotion quand on travaille à rendre un personnage
attachant. Le lecteur devra partager avec lui ses joies (d’autant plus
fortes qu’elles seront inattendues) et ses douleurs (d’autant plus
poignantes qu’elles le pousseront à évoluer). Et il n’y a pas de
mystère : pour que cette émotion-là passe, nous devons, nous, auteurs,
la ressentir profondément à travers l’écriture. Merci encore à Aranck
pour le sujet ! Toutes vos remarques et réactions sont évidemment les
bienvenues :-)
Cristal
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