Les trois clefs d’une bonne histoire
À l’occasion du Salon du livre jeunesse de Montreuil, a été organisée
une grande rencontre de plumes argentées. Nous avons eu, outre les
délires incontournables, des conversations tout à fait passionnantes !
Au cours de l’une d’elles, j’ai appris qu’on pouvait finalement résumer
la plupart des qualités d’une bonne histoire à trois principes. Ces
trois règles d’or, si simples en apparence, peuvent non seulement servir
de points de repère à l’auteur qui bâtit son récit, mais aussi d’axes
de réflexion aux lecteurs qui auraient du mal à affiner leurs
commentaires. Plus j’y réfléchis, plus je suis convaincue qu’il
suffirait à chacun de se poser ces trois questions rituelles pour
permettre de déterminer exactement les forces et les faiblesses d’un
texte. Je vous invite donc à vous les poser avec moi, si vous le voulez
bien !
Est-ce que l’histoire est compréhensible ?
Ça a l’air bête, formulé ainsi, et pourtant ce principe n’est pas
aussi facile à suivre qu’il y paraît. J’ai longtemps été moi-même une
adepte du flou artistique, en pensant qu’un texte clair faisait cucul la
praline. Je complexifiais délibérément mes phrases pour que chaque
action soit sous-entendue, jamais explicitement décrite. Quand un mot me
semblait trop élémentaire, je lui cherchais un synonyme le plus rare et
le plus précieux possible. Et comme s’il ne me suffisait pas
d’obscurcir mon style, je multipliais dans mon intrigue les faux indices
et les détails sans importance afin de dérouter le lecteur et rendre
l’histoire plus mystérieuse encore. Dans mon esprit, c’était ça, écrire
en adulte.
Maintenant que j’y pense, c’était plutôt écrire
en sale gosse. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une histoire répond aux
mêmes principes que n’importe quelle forme de langage. Un émetteur
(l’auteur) transmet un message (l’histoire) à l’attention d’un récepteur
(le lecteur). Si le message est brouillé par toutes sortes de
parasitages, au niveau de la forme ou au niveau du fond, le récepteur ne
le comprendra pas. Je ne parle pas ici de poésie où la sonorité et la
symbolique des mots répondent à leurs règles propres, ni des écrits
personnels voués à rester dans les fonds de tiroir, ni des essais qu’on
destine à un lectorat très spécifique.
Auteurs, ayez
toujours une pensée pour votre lecteur quand vous écrivez, surtout si
vous voulez toucher un public jeune ou n’ayant pas mené de grandes
études littéraires. La clarté du style et de l’action est essentielle :
préférez des phrases courtes à des syntaxes compliquées, précisez
toujours qui dit quoi dans les dialogues, choisissez des mots précis et
évocateurs, ajoutez des explications partout où c’est nécessaire, évitez
la surabondance de noms imprononçables (« R’gur ahl Br’n se rendit à
Mist’gnül pour récupérer son hart’yfil préféré ») et faites la chasse à
tout ce qui pourrait générer des malentendus. Si vous êtes fier d’une
phrase qui sonne bien, qui fait classe, mais qui n’est objectivement pas
claire, sacrifiez-la sans pitié. Je sais. Ça fait mal.
Quant à vous, amis lecteurs, n’ayez jamais peur de relever les passages
que vous n’avez pas compris, les confusions que vous pensez faire. Vous
rendrez un immense service à l’auteur qui n’a pas toujours le recul
nécessaire sur son texte.
Est-ce que l’histoire est crédible ?
Ce n’est pas tout d’écrire une histoire compréhensible, il faut aussi
que votre lecteur y croie. Ici, nous nous attaquons à une autre strate
de l’écriture : notre aptitude à donner l’illusion du vrai à une œuvre
de fiction, non-réelle par définition. Un auteur est un
prestidigitateur. Vous détenez le pouvoir de créer des mondes
impossibles, d’animer des personnages imaginaires et de faire vivre des
émotions puissantes, bien réelles elles, à votre lecteur ! Mais
attention : une seule invraisemblance et votre tour est raté. Le lecteur
est éjecté hors de l’histoire, il a cessé d’y croire… oh, ça ne dure
parfois qu’un instant, mais la faille est là. Et si votre histoire
contient trop d’invraisemblances, vous dissoudrez toute la magie qu’elle
contient. « Non, mais cette bizarrerie, je l’explique plus loin, en
fait », me direz-vous peut-être. Ce à quoi je réponds : le lecteur doit
croire en votre histoire ici et maintenant, du premier au dernier mot.
Ne vous permettez les explications tardives que si vous avez déjà gagné
la confiance de votre lecteur et que vous lui avez largement prouvé par
le passé que vous maîtrisez votre affaire.
Maintenant,
concrètement qu’est-ce qui rend une histoire crédible ? Son réalisme ?
Oui, pour le degré de précision des décors ou pour le ressenti des
personnages, par exemple, mais pas que.
Plus on puise dans
la réalité pour construire notre imaginaire et plus notre imaginaire
devient une nouvelle réalité. La saga du « Trône de fer » de Martin,
devenue culte, est un récit Fantasy ultra réaliste en termes de
violence, de psychologie, de civilisation et d’intrigues politiques.
Prenons Harry Potter, à présent. Ce qui fait son succès, c’est que les
lecteurs y croient : le monde des sorciers existe vraiment pour eux
(j’ai vu la voie 9 ¾, si, si, je l’ai vue !). Pourtant, ici, plutôt que
le réalisme, je pense que c’est la cohérence de l’univers qui a été
déterminante. Un monde, fût-il imaginaire, possède des règles, des lois,
un passé, des possibilités et des interdits qu’il vous faut bien
connaître pour que la mécanique fonctionne. Même les univers absurdes,
comme celui du « Disque-Monde » de Pratchett, possèdent une logique
propre qui fait que oui, c’est impossible, c’est délirant, mais on s’y croirait.
Si vous écrivez des histoires qui se déroulent dans notre monde de
tous les jours (le « Slice of life » comme on dit maintenant), la
vraisemblance va alors passer par votre maîtrise du contexte. Une fac de
droit ? Un commissariat ? Un asile psychiatrique ? Une cour
versaillaise ? Une grotte préhistorique ? Il vous faut un minimum vous
documenter, ou alors parlez de ce que vous connaissez personnellement.
Vos personnages ont une vie publique et privée étroitement liée à leur
environnement, cet ancrage est donc important pour que le lecteur y
croie. Notre monde réel possède aussi ses propres règles. Vous ne pouvez
pas faire prendre l’avion à un enfant de quatre ans qui décide de
partir seul à l’aventure. Une orpheline qui galère pour joindre les deux
bouts n’habitera pas dans les beaux quartiers de Paris. Et Napoléon
n’avait pas le téléphone dans son cabinet de travail.
Enfin,
j’ai envie de dire qu’encore plus que le background, la crédibilité
d’une histoire passe essentiellement par ses personnages. Si vous dotez
vos héros de qualités et de défauts, de forces et de handicaps, il ne
suffit pas de le dire et puis voilà. Ils doivent les incarner dans le
récit, quitte à évoluer par la suite. Leurs actions et leurs réactions
doivent, elles aussi, être adaptées aux événements et aux autres
protagonistes. N’allez pas me faire croire que si vos amis et vous étiez
réellement poursuivis par un monstre sanguinaire, votre premier réflexe
serait de vous séparer. Ni que les mamans sont nécessairement des
femmes belles, tendres, douces, lumineuses dont le seul vice est de
s’inquiéter pour leurs enfants (a fortiori quand elles sont décédées,
vous avez remarqué ?).
Bref, veillez à toujours rester
crédibles. Et vous, amis lecteurs, aidez les auteurs à s’améliorer en
leur disant tout ce qui vous a fait sourciller !
Est-ce que l’histoire est accrocheuse ?
Pour cette troisième et dernière règle d’or, le lecteur jouera le plus
grand rôle. Un auteur peut, à force de persévérance, clarifier et
travailler son histoire jusqu’à la rendre limpide comme de l’eau de
roche et plus vraie que nature. Mais rien ne lui garantit que ces
qualités suffiront pour transporter le lecteur jusqu’au point final. Il
est tellement difficile pour un auteur de juger sa propre production !
Certes, avec l’expérience, nous pouvons ressentir les passages que le
lecteur lira (et relira) avidement, ainsi que ceux qu’il survolera un
peu vite, mais nous restons pour nous-mêmes des juges atroces, soit trop
indulgents, soit trop sévères. C’est ici que l’étape de soumission aux
regards extérieurs devient incontournable. Et c’est ici que le lecteur
se doit d’être le plus honnête possible au moment de commenter sa
lecture. Ce passage vous a fait hurler de rire, frémir de peur, ému,
bouleversé, transporté ? Dites-le. Tel autre vous a arraché un
bâillement, laissé de marbre, déçu, pesé, freiné ? Dites-le.
Maintenant, je trouverais un peu facile de m’en tenir à cette
conclusion-là pour cette dernière question. J’ai encore beaucoup à
apprendre, je suis loin d’avoir l’expérience nécessaire pour dire ce qui
fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, mais je peux au moins partager
avec vous ce qui, moi, en tant que lectrice et non plus en tant
qu’auteure, m’accroche dans une histoire. Je précise au préalable que je
lis absolument de tout en matière de romans (littérature jeunesse et
adulte, histoires d’amour, collections SFFF, polars, fictions
historiques, drames familiaux, œuvres classiques, etc.), je n’ai donc
pas un genre de prédilection qui pourrait biaiser mon point de vue. Et
si vous voulez compléter le mien par le vôtre, j’en serais très
honorée !
Bref, depuis que j’écris, je suis devenue très à
l’écoute de la lectrice qui palpite en moi. Cette lectrice ressent le
besoin de s’identifier aux personnages ou, au moins, d’entrer en forte
empathie avec eux. Un héros à la perfection superficielle ou au cynisme
inébranlable, des amis en carton-pâte, un antagoniste aussi méchant
qu’il en a l’air, ça ne me parle pas. Bref, il me faut des personnages
un minimum fouillés, dotés de vraies motivations, qui sont traversés par
des émotions sincères, qui font des erreurs, mais qui ne font pas non
plus vingt fois les mêmes, qui évoluent au fil des pages, qui produisent
de l’électricité entre eux, qui sont de chair et de sang, qui ont des
passions et des secrets pas toujours avouables. La lectrice en moi est
également friande de petits détails sensitifs et insolites, elle
apprécie qu’on lui plante le décor en peu de mots, mais attention ! que
ces mots-là vibrent de vie, de formes et de couleurs… J’aime palper la
présence de l’auteur, quelque part derrière le texte ; autant dire que
je saute allégrement tout ce qui ressemble à une présentation
encyclopédique. Que celui qui n’a jamais fait pareil me jette le premier
livre. L’idéal formel pour la lectrice en moi, c’est quand les
descriptions, les actions, les pensées, les émotions et les dialogues ne
cessent d’alterner tout en s’équilibrant les uns les autres. Et enfin,
ce qui va être déterminant dans l’intérêt que je porte à une histoire,
c’est… l’histoire, justement ! Qu’il s’agisse d’une intrigue
sentimentale ou d’un récit d’aventure, d’un thriller implacable ou d’une
vie de famille, peu importe, du moment qu’il y a des défis à relever,
des mystères à résoudre, une tension croissante, des coups de théâtre
époustouflants, des accomplissements inattendus et des rebondissements
efficaces.
Quand j’écris, c’est cette alchimie que j’ai à
l’esprit et que j’essaie, quitte à me remonter souvent les bretelles,
d’obtenir à mon tour.
J’achève ici cette Plume et
Astuce plus longue que d’habitude. Comme quoi, trois questions très
simples en apparence donnent énormément de matière à réflexion.
N’hésitez pas à passer par les commentaires ou par le forum pour
prolonger ensemble cette réflexion !
Cristal
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