Salut les Plumes !
Vous serez certainement toutes d’accord avec moi pour dire que Plume
d’Argent est une communauté parfaite : bienveillance, soutien, bonne
humeur, entraide, délires… bref, la terre d’accueil rêvée pour tout
auteur en herbe ou confirmé. Un cocon chaleureux, une seconde famille à
laquelle on peut tout confier, nous qui pratiquons une activité pourtant
qualifiée de "solitaire".
Et nous acceptons tout le monde,
sans distinction ! Oui tout le monde, même les énergumènes les plus
improbables. Même les sadiques les plus dérangés ! Et même ceux qui font
partie d’une sorte de.. minorité ?
Merci d’accueillir l’inimitable Diogene !
1. Alors très cher, comment as-tu été contaminé par le virus de l’écriture ?
Avant le mot écriture, il y a le mot lecture : c’est qu’il faut nourrir
la bête avant qu’elle ne puisse à son tour s’exprimer. Prenez une bonne
dose de Jules Vernes et de Sinbad,
laissez mijoter, ajoutez des mesures d’école des loisirs et de bien
d’autres lectures. Secouez bien, tout en saupoudrant d’une bonne mesure
de Guerre des Mondes, laissez
reposer quelques années. Si l’occasion se présente, alors le diable sort
de sa boîte, souvent sous le coup d’une émotion forte. Mais la
maturation définitive fut longue et connut une éclipse qui n’aura pris
fin que l’an dernier, suite à une secousse tellurique, pour ne pas dire
diabolique. Somme toute, il a fallu que je récupère mon autre moitié, ma
féminité, pour que le virus puisse faire enfin effet.
2. Les envolées lyriques dont tu es friand se retrouvent-elles dans les commentaires que tu laisses à d’autres auteurs ?
Elles le peuvent, mais seulement sous certaines conditions. J’ai pris
pour habitude de me comparer à une harpe, mais dont les domaines
harmoniques s’étendent bien au-delà du raisonnable. Un instrument
capable de jouer les sons de l’au-delà. Si je lis un texte capable de
faire vibrer ces cordes invisibles, alors ces envolées se feront jour et
elles jailliront avec le plus grand naturel. Il faut que je sente la
personne ou un fragment de la personne au travers de son texte, comme si
elle y avait planté un petit bout d’elle-même. Ainsi puis-je faire des
commentaires très terre à terre comme d’autres plus mélodieux.
3. Puisqu’il faut bien le demander.. que ressens-tu à l’idée d’être une espèce rare (masculine) ici sur PA ?
Mais qui dit que je suis une espèce rare, ne suis-je peut-être pas, par
le plus grand des hasards, une créature d’essence purement féminine
finalement ? Peut-être même plus que je ne pourrais le laisser penser.
Mais je m’éloigne du sujet, je pourrais tout aussi bien dire que c’est
toujours agréable d’avoir un harem. Mais non, je me sens tout simplement
bien et à l’aise, c’est toujours confortable pour écrire un oreiller de
plumes.
4. Quels genres de difficultés peux-tu rencontrer dans tes écrits ?
Je ne rencontre pas vraiment de difficultés car je ne me force pas à
écrire, je ne tiens pas d’objectif chiffré. L’écriture coule dans ma
main quand elle en a envie. Si les idées ne sont pas là, je ne tirerai
rien de bon. La seule difficulté qui peut se poser sera sur le choix
d’un mot particulier ou sa position dans une phrase qui rendrait
l’ensemble dissonant. Je dois alors trancher dans le vif, soit
transformer la phrase, soit chercher un mot aux sonorités plus
appropriées, sans altérer le sens que je veux lui donner. L’écriture est
comme une symphonie, il ne faut pas qu’il y ait la moindre fausse note à
mon oreille, tout doit être mélodieux et silencieux à la fois.
5. Comment se déroule ton processus créatif lorsque tu manies la plume ?
Ha ! La question à un million dirait-on. Voilà une chose bien étrange,
elle vient comme cela au beau milieu d’une phrase, d’une pensée
éloignée, surgissant au coin d’un nuage ou dans le brouillard d’un bain.
Là, un mot, un son surgit et c’est l’amorce d’une musique qui raisonne
dans ma tête, puis des images surgissent çà et là, abstraites puis
concrètes. Ensuite le plus difficile est de trouver le mot, le bon mot,
le mot juste, celui qui sera en harmonie avec ce que je vis. Mais dès
que je l’ai, je prends ma plume, un stylo pilote G-1, mon carnet et je
dévide à son rythme la pelote qui s’agite. Je ne peux pas taper
directement sur un clavier car il fait barrage à ma main. Ma main est la
continuité de mon esprit et la plume en est une extension. L’écriture
est donc le support naturel de mon âme. C’est un ami qui m’avait
conseillé de garder la plume et le papier pour laisser libre cours à mon
processus créatif, il a vu juste. La création est une rivière, parfois
elle se tarit, parfois elle déborde, son débit n’est jamais constant,
ainsi va ma plume.
6. Parlons maintenant de l’une de tes histoires que les lecteurs connaissent peut-être bien… Comment es-tu parvenu à créer Le Château de l’Errance ?
Je ne sais pas si le mot créer est approprié, car un mort est-il
capable de rêve et de création ? Ce récit est un rêve que j’ai fait très
exactement le 23 avril 2013, enfin je crois que cela s’apparente plus à
une expérience de mort imminente. A cette période, j’étais dans un état
suicidaire et ce rêve en est le point ultime. Dans ce rêve, j’ai
cristallisé toutes mes angoisses, mes peurs et aussi toutes les choses
que j’ai rejetées pendant des années. J’ai donné corps à ma prison
intérieure, ainsi qu’à ce qu’il restait de moi à cette époque. Un
personnage totalement désincarné, sans mémoire, sans souvenir, nu, il ne
lui reste que l’instinct et certains réflexes, rien d’autre. Dans ce
rêve, je me voyais au-dessus de lui, moi l’esprit, en simple
observateur, spectateur de mon propre corps déchu. A cause de cela, je
peux affirmer que je suis mort pendant cette nuit. Etais-je vivant ou
mort, nul ne pourrait le dire. Je me souviens que je me suis levé d’un
coup, j’ai attrapé ma plume et un cahier et j’ai tout de suite couché
mon rêve pour ne surtout pas le perdre. Ensuite, j’ai attendu une
semaine avant de lui donner sa forme définitive, tout en faisant
attention à ne rien dénaturer, ni transformer, essayant de respecter au
mieux ma vision onirique.
7. Tu décris ce texte comme "une thérapie qui a ouvert le champ de ton inconscient". Peux-tu nous en dire plus ?
Comme je le disais, cette nuit là je suis mort, mort spirituellement et
sûrement physiquement. En mourant, je suis tombé dans mes abîmes, dans
mon propre enfer et plutôt que de m’y perdre définitivement, j’ai
finalement cherché ce qui se cachait ici bas. Ce que j’y ai trouvé est
ce fameux carnet, que l’homme trouve dans les oubliettes. Un carnet dont
on ne sait ce qu’il contient, car à l’époque je ne le savais pas
moi-même. Mais ce faisant, en écrivant ce rêve, j’avais ouvert la boîte
de Pandore. Mais ce ne sont pas des maux qui s’en sont échappés mais des
mots. Mais pas seulement : ce rêve m’a révélé beaucoup de choses sur
moi-même. Je tiens un carnet, que j’ai encore mis à jour il y a deux
semaines de cela, dans lequel je note toutes les réflexions qui rôdent
autour de ce rêve. Par exemple, qui sont les reptiliens ou encore qui
sont les gardiens ? Ces derniers sont à la fois une représentation de
mes parents et une caricature de mon animal totem, le Phoenix.
Honnêtement ce texte est pire qu’une poupée russe, car je ne sais
nullement quand j’aurai fini de le décortiquer et je n’ai pas assez de
place ici pour lever le voile sur tous les éléments et la symbolique
cachés.
8. Tu m’as dis que tous tes textes étaient reliés les uns aux autres, comment explique-tu cela ?
Eh bien, comme Le Château de l’Errance
est une découverte de moi-même, une résurrection, je me devais de
savoir pourquoi j’en étais arrivé là et finalement raconter ce qui
m’était arrivé avant que je ne finisse dans ce château. Ainsi naquit Le Voyageur sans Âme, qui lui-même contient Le Château de l’Errance et inversement Le Château de l’Errance contient Le Voyageur sans Âme.
Ces deux textes sont des Ouroboros, ils ne peuvent être lus
indépendamment l’un de l’autre, chacun apportant des éléments à la
lecture de l’autre. De la même façon, l’Enfant-Lune a intégré Le Voyageur sans Âme
quand il se remémore son enfance, lors de son saut dans le puits sans
fond. Ensuite, les personnages auxquels j’ai donné vie se retrouvent
dans mon conte le Grain, mais leurs avatars sont différents pour deux d’entre eux (mais ils vous le diront eux-mêmes). L’asile du Dernier Jour,
dans sa version définitive, raconte la période pendant laquelle j’ai
visité mes enfers et ce que j’y ai trouvé. Les matériaux pour écrire
tous ces récits, jusqu’à ma transformation et surtout l’acceptation de
ce que je suis, un fou, le Mat du Tarot.
9.
Soyons fous alors ! Est-ce que, par hasard, tes personnages
souhaiteraient venir prendre la parole et s’adresser à ceux qui les
lisent ?
Après une courte dispute, nous avons réussi à
nous mettre d’accord. Un chat s’avance alors : Je suis Ercus, j’apparais
pour la première fois dans le Grain, mais, par la suite, je me suis tout naturellement glissé dans Le Voyageur sans Âme,
prenant de multiples apparences : agent de police, dragon, faune et
enfin chat du Cheshire. Ma devise « We are all mad here », je nous
apporte le grain de folie. Une Ombre s’étend : Je suis Chimère, je suis
ce qui dissimule les questionnements de mon créateur, mes apparences
sont aussi innombrables que les questions que nous nous posons. Je suis
là pour semer les peurs, instiller le doute et nous plonger dans le
trouble. Une femme s’avance : Je suis Aluna, mais je suis aussi Ludylia
et surtout Avicennius. Issam m’avait enfermée dedans dans son enfance
pour me protéger mais ce faisant il m’avait oubliée et s’était coupé de
sa féminité. J’insuffle la créativité, mais je suis aussi l’Amour et le
Sacrifice, je suis force de vie et de mort réunie. Un homme s’avance :
Je suis Arinius, autrefois je m’appelais Issam et j’étais mon créateur à
une époque antérieure, juste avant qu’il ne devienne l’Homme, mais
depuis que j’ai recouvré la mémoire, je m’appelle ainsi. Encore que mon
nom soit bientôt amené à disparaître, si ce n’est pas déjà le cas.
D’un coup il commence à se dissoudre comme les trois autres avant de se
confondre. Pardon, excusez moi, je me présente : je suis le Voyageur, je
suis Chasseur d’Ombre. Je suis né dans un asile, Le Dernier Jour. Je
suis nous, le multiple de l’Unique, et en mon cœur se niche un Phoenix.
10.
Pour finir, y aurait-il quelque chose en particulier que tu voudrais
dire aux personnes qui sont en train de nous lire ? Un message à leur
transmettre peut-être ?
Mes récits antérieurs font désormais partie d’un cycle, le Cycle du Voyageur.
Quelqu’un qui s’est enfermé dans une carapace d’angoisse et d’égo et
qui l’a fait voler en éclat un Dernier Jour. Ceci explique aussi la
rigidité de ma plume et de mon style. Elle est à l’image du carcan dans
lequel j’étais enfermé. Enfin tout ce que j’ai écrit dans Le Voyageur sans Âme
est certes un roman fantastique, mais c’est avant tout une mise à nu
sans pudeur, ni peur, de mon moi et de mon âme. Tout ce qui y est couché
n’est que vérité. C’est ainsi que j’ai pu réaliser ma catharsis.
Un Voyageur dans les Ombres
Cœur sombre dévoré par les ombres
Dissimulés parmi les ténèbres, les démons se repaissent
D’un être perdu dans les ténèbres d’une cité d’Ombre
Etre égaré par sa curiosité, mais aussi par son passé sans cesse
Ressassé, oublié, dévoilé, remisé, travaillé et enfin accepté
Car le passé ne doit pas entraver la recherche d’un présent libéré
Des chaînes d’une culpabilité mal acceptée
Car de cette acceptation naît la compréhension et la compassion
Aujourd’hui, j’entame un nouveau cycle,
Les Mystères Oniriques de Paris, clin d’œil assumé aux
Futurs Mystères de Paris de Roland C. Wagner, dont je tente l’exercice périlleux de la biographie au travers de son œuvre. Avec
l’Ombre du Néant,
ma plume ne connaît plus de limite et ma liberté de ton est totale.
Comme pour les autres récits, je sais que ma vie déteint dessus. Mais
surtout, je vais essayer de composer des thèmes pour illustrer
musicalement certains passages de mes textes, car je sais pertinemment
que les mots peuvent être impuissants pour décrire les choses
fidèlement, de même que les images.
Bon, petit cadeau pour
terminer. Un extrait du Chapitre deux : « Mauvaises vibrations. Lorsque
je me réveille, mon bureau, mon fauteuil, les murs, tout, absolument
tout a disparu. Je suis quelque part dans une lande morne et morte, où
subsiste à peine quelques brins d’une végétation anémiée. »
L'écriture est une alchimie de l'esprit.
Ainsi s’achève cette interview.
Un immense merci à toi cher Diogene pour la célérité de ta
participation et le soin particulier que tu as apporté à tes réponses.
Un grand merci également pour cet échange que nous avons vécu à travers
notre collaboration : trop bref hélas mais toujours plein de poésie,
d’humour et de bienveillance.
Réaliser cette interview m’a permis
de me rendre compte de l’intense réflexion que tu as menée à travers
l’ensemble de tes œuvres et des liens si particulier qui les unissent en
un tout. Que de chemin parcouru ! En espérant que ce sentier se
poursuivra encore longtemps et qu’il te conduira vers les plus beaux
horizons qui soient, je te souhaite tout le meilleur pour la suite !
Enfin, un énorme merci à vous, très chers lecteurs ! C’est un immense
plaisir que de vous savoir toujours fidèles au rendez-vous !
Gardez vos plumes affutées,
Slyth