Pourquoi ?
Pour
la toute première Plume et Astuce de l’année, j’ai eu l’envie de me
pencher sur la délicate question du « pourquoi ? ». Je ne sais pas pour
vous, mais moi, à chacune de mes histoires, je me suis souvent demandé
ce que j’allais écrire (quoi), à partir de quels personnages (qui), dans
quel environnement (où), en référence à quelle époque (quand) et avec
quelle sorte de style (comment), mais j’ai très souvent éludé la
question centrale du pourquoi. Et si nous passions ensemble à la loupe ce qui se cache derrière ces huit petites lettres ?
Les multiples déclinaisons du pourquoi
Pourquoi est-ce que j’écris cette histoire ? Pourquoi j’ai choisi tels
personnages, tel contexte, tel genre, tel style ? Pourquoi mon héros
prend-il cette décision ? Pourquoi le méchant est-il devenu aussi
mauvais ? Pourquoi telle aide providentielle tombe-t-elle soudain du
ciel ? Pourquoi cette rencontre improbable a-t-elle lieu ici et
maintenant ?
Interrogez-vous et interrogez votre texte.
Posez vos pourquoi pour chaque aspect de l’histoire, chaque situation,
chaque action que vous écrivez. Si vous ne pouvez répondre autrement que
par « ça me plait trop ainsi ! » ou « il le faut pour les besoins de
l’intrigue » ou « pour que ça fasse mystérieux » ou encore « oh, ça,
c’est un savant mélange de destin et de hasard », alors je vous invite à
vous attarder un instant sur le sujet avec moi.
Pourquoi faut-il se demander pourquoi ?
1) Parce que c’est gratifiant pour l’auteur.
Un auteur qui ne peut pas répondre aux pourquoi de son histoire n’a
pas fait de l’écriture un acte pleinement conscient. Il reste spectateur
du roman et subit les aléas de son inconscient, de ses peurs et de ses
désirs, ainsi que de toutes les facilités scénaristiques venues. Il a
spontanément tendance à véhiculer des lieux communs et les préjugés de
l’opinion publique, faute d’exercer son esprit critique à travers
l’écriture. Il est aussi influençable face aux critiques de son lectorat
et se laisse balloter sur les flots hasardeux des commentaires sans
boussole pour garder le Nord. Bref, il n’est pas le capitaine de son
navire.
Au contraire, un auteur qui sait pourquoi il a
choisi d’écrire cette histoire et pas une autre, pourquoi ces
personnages prennent telle décision et pas telle autre, pourquoi les
événements de son histoire ont lieu sans que ce soit le fruit d’une
(mal)heureuse coïncidence donne du sens à ce qu’il écrit. Il a un cap,
il connaît sa destination. Il ne cherche pas à flatter ses fantasmes ou
ceux de ses lecteurs, il est le porteur d’un message qui vaut mieux que
ça.
2) Parce que c’est gratifiant pour le lecteur.
Vous n’êtes pas seul à bord de votre roman, vous y embarquez aussi
tous vos lecteurs. Si votre histoire n’a pas de réponse à son
« pourquoi » central, à savoir sa raison d’être, vous risquez de passer à
côté de l’essentiel. Vous avez le pouvoir, à travers vos mots, de
transmettre quelque chose d’important à votre lecteur. Écrire une
histoire d’amour ou d’aventure parce que « ça plaît », c’est réduire son
lectorat à sa dimension de consommateur de divertissements. Mais écrire
une histoire d’amour ou d’aventure de façon à traiter un ou plusieurs
thème (la différence, la quête d’identité, la justice, le racisme, la
guerre, la famille, etc.), c’est amener son lecteur à s’interroger avec
vous et à exercer son esprit critique. Attention, je ne vous invite pas à
donner une morale à l’histoire, mais bien à faire de l’écriture une
démarche consciente : vous pourriez tout aussi bien privilégier
l’absurde et ne vouloir conférer aucun message à votre histoire, du
moment que c’est votre vision personnelle et assumée de l’écriture.
Concernant les autres pourquoi, ceux qui sont liés à la crédibilité de
la narration, ils sont aussi importants pour votre lecteur. Ce dernier
sera davantage porté par le récit s’il sent que vous maîtrisez votre
affaire, que vous connaissez les motivations profondes de vos
personnages, que vous modulez les actions et les événements au fil des
volontés humaines et non au petit bonheur la chance.
La boucle infinie du pourquoi
Vous êtes face à votre roman et vous vous êtes prêté au jeu des
pourquoi. Vous avez exploré vos propres intentions d’auteur, puis vous
avez passé en revue celles de tous vos personnages. Vous avez fait
sauter des pans de texte entiers parce que vous avez découvert des
incohérences, des invraisemblances, des contradictions et des facilités.
Vous avez décidé d’étendre ce questionnement jusqu’à la galerie des
personnages secondaires, jusqu’aux fondations même du système social et
politique du roman, jusqu’aux générations antérieures et jusqu’aux zones
de l’histoire dont vous ne parlerez jamais. Vous accumulez des pages et
des pages de notes explicatives, des arbres généalogiques hyper
détaillés, des schémas de haute précision... Attention, vous êtes
peut-être entré dans une boucle sans fin !
Et oui, il faut
aussi que l’auteur accepte de ne pas pouvoir répondre à tous les
pourquoi de son roman. Il y a des personnages dont il ne connaîtra
jamais l’arrière-fond, des régions dont il ne connaîtra jamais
l’arrière-plan, des mécanismes dont il ne connaîtra jamais les rouages.
Posez-vous des limites et ne vous éloignez pas trop de votre fil
narratif. Si vous êtes en train de vous casser la tête sur quelque chose
qui n’a aucun rapport direct avec l’action principale du roman, lâchez
prise et tenez-vous-en là.
Conclusion
Et vous, que pensez-vous du pourquoi ? Est-ce une question que vous
vous posez souvent en écriture ? Lui trouvez-vous des avantages ou des
inconvénients dont je n’ai pas parlé ici ? Votre expérience nous
intéresse, alors n’hésitez pas à donner votre avis !
Je
conclurai cet article en remerciant Shaoran et SecretSpleen : nos
conversations sur l’écriture m’inspirent toujours beaucoup pour les
Plumes et Astuces !
Cristal
"Si vous êtes en train de vous casser la tête sur quelque chose qui n’a aucun rapport direct avec l’action principale du roman, lâchez prise et tenez-vous-en là."
RépondreSupprimerOh Cricri, si tu savais comme tu me sauves la vie. Tu as raison. Vouloir tout expliquer c'est bien ; mais ne pas passer des mois sur l'explication d'un phénomène qui ne sera en aucun cas important pour le déroulement du récit, c'est mieux. Il y a des choses qu'on peut se permettre de laisser vagues, bien que devant les mentionner.
Ça devenait une obsession... Mais faut savoir prendre du recul et réaliser qu'on s'efforce et s'essouffle dans une direction pour rien du tout !
Merci <3