mardi 15 octobre 2013

Paroles de Pro

Coucou les plumes,
Pour ce nouveau numéro du Paen, j’ai décidé de sortir des sentiers battus en vous proposant de découvrir un point de vue différent de ceux que l’on vous présente d’habitude à travers les témoignages d’éditeurs. En effet, aujourd’hui nous mettrons à l’honneur les librairies. Et une en particulier.

Niché au cœur de la forêt bétonnée des habitations parisiennes, se cache un arbre tout particulier qui un jour a troqué bois et sève contre la magie de l’encre et du papier. Il est alors devenu « L’Arbre à Lettres », une librairie de proximité qui, a contrario de nombre de ses frères et sœurs dont nous ne citerons pas les noms, ne se contente pas de vendre des livres. Sans attendre, rentrons donc tout de suite dans le vif du sujet :


1/ L’arbre à lettres, c’est une librairie parisienne qui se revendique avant tout comme un lieu de convivialité et de partage où l’imaginaire est roi et le conseil précieux. Un service humain qui fait toute la différence. Pensez-vous qu’à l’heure d’internet et du tout numérique, cette démarche soit une nécessité pour la survie des librairies classiques ?

• Oui, je pense qu'elle est primordiale. Avec ces nouvelles valeurs technologiques, la nostalgie du contact humain et de la proximité sont en hausse. Les gens utilisent de plus en plus de moyens de communication distants, et prennent l'habitude de faire leurs courses, leurs rencontres via des sites web. L'Arbre à Lettres est une librairie de quartier, riche de client habitués, et connue pour les bons conseils de ses libraires. On peut voir avec la triste fermeture des centres Virgin que les clients ne souhaitent plus de "supermarché" de la culture, mais plutôt un magasin où les conseils et les connaissances sont rois. Avec ma spécialisation, la jeunesse, le conseil et le coup de cœur sont nécessaires. Je lis sans arrêt et regarde les albums afin de prodiguer les meilleurs retours aux clients. Je suis loin d'être avare avec mes coups de cœur, car j'aime savoir mes clients autonomes, mais j'aime aussi conseiller et renseigner grands-parents, parents, oncle, tantes, amis et les enfants eux-mêmes.


2/ Vous devez fréquemment recevoir la visite des commerciaux des valeurs sûres de l’édition qui arrivent avec leurs best-sellers en devenir, mais qu’en est-il pour ce qui est des maisons d’éditions plus modestes ? Comment choisissez-vous les ouvrages de votre catalogue ? Qu’attendez-vous d’un livre ?

• En effet, nous voyons des représentants toutes les semaines. Ceux-ci nous présentent leurs catalogues et argumentent pour leurs livres. Je veille à avoir tous types d'albums et de romans en rayon. Des best-sellers, évidemment, mais aussi des premiers romans, des albums de type classique de Gallimard et des "albums à message" de Rue du Monde par exemple. Beaucoup de petits éditeurs (Courtes et Longues, Billeboquet, Frimousse, Alice...) proposent des albums au graphisme particulier ou aux sujets graves qui ne correspondent parfois pas à notre clientèle. J'essaie de choisir des livres de types différents qui me plaisent ou plairont à mes collègues et surtout à nos clients.


3/ Quelles difficultés rencontrez-vous le plus souvent ?

• Les gens braqués que sur leurs idées!!!!!!! Ils veulent un roman sur le football, sur les chevaux ou encore une belle histoire d'amour, et rien d'autre! Si nous n'avons pas de titres qui correspondent en rayon, on est foutu! Il est très frustrant de ne pas pouvoir combler un client par manque de titres ou par manque de curiosité. Sinon, le travail avec un représentant est souvent dur pour moi, car il faut prendre un "pari" sur un livre avec, parfois, très peu d'informations. Je rajouterai que lorsqu'on côtoie sans arrêt de belles couvertures et d'alléchants résumés, il est difficile de faire un choix ou de se résoudre à ne pas lire un roman par manque de temps.


4/ En tant que libraire, vous êtes l’ultime maillon entre l’auteur et le lecteur. A ce titre, vous devez bien connaitre les envies des lecteurs, arrive-t-il aux maisons d’éditions de vous demander votre avis sur les nouvelles tendances ?

• Jamais. Ce sont eux qui crée la tendance! Pocket a sorti Hunger Games il y quelques années, et depuis, la dystopie fleurit. Pareil pour la saga Twilight. Les éditeurs produisent, ils savent que les adolescents aiment lire des romans de mêmes thèmes et de mêmes structures. Ma collection pour adolescent préférée est "Scripto", chez Gallimard. Ils publient beaucoup de romans historiques, souvent à thèmes difficiles, comme "Max" qui parle du nazisme du point de vue d'un enfant arien ou comme "La Décision", magnifique roman sur le déni de grossesse. J'aime ces thèmes à contre-courant. Il m'arrive quand même souvent de parler d'une collection ou d'un roman avec mes représentants. J'ai également déjà rencontré les éditrices de la collection MSK chez le Masque, par exemple, qui m'ont présenté leur ligne éditoriale et se sont intéressées au goût de mes clients.


5 / Une fois un livre choisi, commandé et arrivé dans votre librairie tout en encre et en papier, comment se déroule la phase de promotion ? Vous arrive-t-il d’organiser des séances de lecture comme cela se pratique aux USA, ou des séances de dédicaces, ou l’auteur doit rester un inventeur mystérieux tapi dans l’ombre de ses pages ?

• Un inventeur mystérieux tapi dans l'ombre de ses pages... Très belle formule! Il nous arrive de faire une rencontre avec des auteurs. Depuis que je travaille à l'Arbre à Lettres, j'ai surtout rencontré des auteurs de littérature adulte. Nous avons quand même invité Geronimo Stilton et une écrivain et dessinatrice célèbre, Gerda Müller, viendra signer chez nous fin octobre. Un de mes buts à long terme et d'organiser plus de rencontres avec des illustrateurs et écrivains pour enfants et adolescents. Mon rêve ultime serait de recevoir Jean-Claude Mourlevat, mon idole! Je suis "pour" la rencontre auteur-public. L'auteur doit être disponible, selon moi, pour partager son travail et répondre aux questions de ses lecteurs.


6/ Christelle Dabos, l’auteure de la Passe-Miroir et gagnante du concours premier roman de Gallimard est à l’origine une perle du net. Envisageriez-vous de travailler un jour en collaboration avec des auteurs du web qui s’auto-publient afin de promouvoir ces talents issus des nouvelles technologies ? Est-il possible à votre échelle de commercialiser de tels ouvrages ?

• Il m'est difficile de vous répondre, car c'est notre gérant qui s'occupe de ces cas-là. Mais nous sommes toujours d'accord de voir un livre et il nous arrive de prendre des titres en dépôt.


7/ Avec l’avènement des tablettes tactiles et autres liseuses, le livre a changé, troquant son encre et son papier contre un format électronique que d’aucuns trouveront plus pratique. Que pensez-vous du livre numérique ?

• Je ne suis pas contre les nouvelles technologies, elles ont des avantages comme le gain de place ou le prix. Cependant, pour moi, rien ne peut remplacer l'"objet livre" et le papier. J'aime voir mon avancée dans un roman, revenir en arrière, et sentir les pages qui ont toutes des odeurs différentes. Je suis une amoureuse, que voulez-vous!


8/ Quel conseil donneriez-vous aux jeunes auteurs qui souhaitent tenter leur chance auprès des maisons d’édition ? Quels sont les pièges à éviter ?

• Ne pas aller vers des éditions Internet, par exemple. Celles-ci sont souvent éditées à compte d'auteur donc les librairies ne peuvent pas les commander, les titres ne se trouvent que via le site web. Il faut également bien se renseigner sur les lignes éditoriales des maisons d'éditions. Par exemple, MSK du Masque ne publie presque que des thrillers ou de la fiction, Doado au Rouergue publie principalement des récits initiatiques ou de vie, etc... Finalement, il est primordial de ne pas se décourager. Même s'il est parfois difficile d'entendre des critiques sur son oeuvre, son "bébé", il ne faut pas hésiter à retravailler son style, sa syntaxe, sa structure, et à persévérer! Pensez à Christophe Mauri qui a envoyé son premier manuscrit à Gallimard à l'âge de treize ans et qui a fini par publier à vingt-deux ans l'excellent Mathieu Hidalf!


9/ Enfin, pour finir sur une note plus originale, quelle est la requête la plus incongrue que l’on vous ait soumise ?

• Alors ça... Il y en a des tonnes à raconter! Il y a d'abord ce qu'on appelle des "Perles de Librairie", c'est à dire les jolies fautes ou 'emmêlage" d'étudiants ou de parents (comme La Banquette de Platon, Germinable, Le Cidre de Corneille, Cyrano de Bergerac de Molière... Que du véridique!) Sinon, j'ai de nombreux clients qui me demandent, lorsque j'emballe un livre dans du papier cadeau, de laisser un côté ouvert afin qu'ils le lisent avant... Je ne me suis toujours pas habituée à ça! Finalement, voici une de mes plus belle perle, d'il y a six mois:

Une cliente me demande le livre du fils de "celui qui a écrit Les Voyages de Gulliver". Sur le coup, je suis sonnée, je ne connais pas de fils écrivain à Jonathan Swift. Directement, je panique un peu et recherche sur Wikipedia et Internet afin de répondre au plus vite à ma cliente. Elle s'impatiente et me dit sèchement que je devrais le connaître car il connait un franc succès avec son dernier livre. Arrêt "Euh... Madame... Vous savez que Jonathan Swift est mort au 18ème siècle?" Elle cherchait Graham Swift, qui n'a aucun lien avec Jonathan.


10/ Allez une dernière pour la route ! Nous n’avons jamais visité les coulisses cachées d’une librairie : aimeriez-vous nous parler d’une ou plusieurs activité(s) mal connue(s) du public et qui participe(nt) au charme de cette profession ?

• La librairie est un métier qui prend beaucoup de temps. On lit le soir ainsi que pendant nos congés. Il est difficile d'être libraire à moitié, car c'est un état d'esprit. Parlons des rencontres avec les éditeurs! Depuis neuf mois, j'ai assisté à quatre rencontres éditeurs, que ce soit pour parler d'un roman d'adolescent qui a bouleversé ses éditeurs (Nos Etoiles Contraires, Nathan), pour le programme de Noël (Bayard) ou pour le vernissage du dernier album d'un célèbre illustrateur (Marc Boutavant pour Edmond, la fête sous la lune) On y croise des journalistes ou d'autres libraires de milieux complètement différents, on partage, on débat... Ce sont des moments très enrichissants.

Et voilà Plumettes et Plumeaux, c’est déjà fini. Nous remercions chaleureusement Madame Valentine pour sa participation et ses réponses vraiment intéressantes. Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir plus en détails ce fameux arbre si particulier, je vous invite à consulter leur site internet : http://www.arbrealettres.com/

A bientôt pour un nouveau Paroles de Pros. C’était Shao déjà en quête d’interviews inédites.


Shaoran

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire