— Et si on parlait « dialogues » ? proposa Cristal.
On peut considérer qu’il existe quatre grands axes de narration en écriture : les actions, les descriptions, les introspections et nos vieux amis les dialogues ! Quand je dis « vieux », c’est à bon escient puisqu’en littérature, le dialogue nous vient de la philosophie antique : Platon et Socrate en ont fait un genre à part entière à travers la maïeutique (l’art de faire accoucher les esprits). Influencé par le théâtre, puis le cinéma et la télévision, le dialogue littéraire a beaucoup évolué depuis. Sa vocation ne se cantonne plus aujourd’hui à un discours argumentatif, elle s’est élargie à la communication dans son expression la plus globale et la plus réaliste.
— Puis-je écrire un roman sans dialogues ? demanda l’auteur.
La réponse est oui. Il existe de très bons romans où les dialogues sont peu présents, voire carrément absents. En fait, les dialogues ne sont pertinents que s’il y a des échanges et des interactions entre plusieurs personnages. Si votre narrateur est isolé, physiquement ou mentalement, le discours indirect peut suffire à résumer le peu d’échanges qu’il a avec les autres protagonistes. Exemple : « Ils m’ont dit qu’ils m’aimaient, qu’ils s’inquiétaient pour mon avenir, qu’ils ne voulaient pas que je fasse des bêtises, bref, le baratin habituel. »
Cette manière de procéder implique une contrepartie : votre écriture devra être très immersive. Il vous faudra renforcer l’introspection, plonger votre lecteur dans la tête du narrateur, le faire baigner en permanence dans ses pensées, ses émotions, ses perceptions. Sans cela, vous risquez d’obtenir un récit déshumanisé.
— Qui parle ? demanda le lecteur.
Si nous sommes tous fans de J. K. Rowling, je crois que nous avons également été nombreux à être traumatisés par ses « dit Harry », « dit Ron », « dit Hermione » à chaque réplique de dialogue. Je connais plus d’une plume qui font tout leur possible pour éviter ces incises répétitives (pour info, une incise est la petite phrase qui indique qui parle dans un dialogue). Le dialogue idéal serait celui où le lecteur n’a pas besoin des incises pour identifier le locuteur. C’est possible dans les dialogues à deux voix et quand chaque personnage à une façon bien caractéristique de parler : tics de langage, argot, pédantisme, etc.
Si vous n’entrez pas dans ce cas de figure, si une confusion est possible, alors je vous recommande de toujours préciser qui est le locuteur. Il est d’ailleurs de mon avis de le désigner par son nom plutôt que par son apparence ou sa fonction sous prétexte de ne pas vouloir vous répéter. Donc si votre locuteur a un nom, préférez-le aux « déclara le grand rouquin », « ironisa le professeur de mathématiques » ou « prétexta la belle jeune fille aux cheveux blonds ».
— Comment choisir mes verbes d’incise ? demanda l’auteur.
Les verbes d’incise ne permettent pas seulement d’identifier le locuteur, ils permettent aussi de savoir sur quel ton il s’exprime. Votre lecteur n’entend pas vos personnages, c’est donc le sens même des phrases qui peut être sujet à interprétation selon, par exemple, qu’il s’agisse d’une interrogation (« — Et tu as compris ça tout seul ! s’étonna-t-il ») ou d’un sarcasme (« — Et tu as compris ça tout seul ! ironisa-t-il »). Plus qu’une intonation, vos verbes d’incise transmettent une émotion : colère, tristesse, joie, peur, etc.
Attention toutefois de ne pas tomber dans l’excès inverse ! Il existe un nombre considérable de nuances et à trop vouloir finasser, vous risquez d’alourdir la lecture des dialogues. « — Je suis scandalisée par ton attitude ! s’offusqua-t-elle. — Oh, ça va, marmonna-t-il, tu n’es pas une sainte non plus. — Comment oses-tu ? larmoya-t-elle. — J’ose parce que tu m’énerves, grimaça-t-il. Tu t’offenses d’un rien. — Ce n’est pas vrai ! se formalisa-t-elle. etc. » Il est d’ailleurs facile de tomber dans l’écueil du pléonasme. Quand on écrit « — Tu m’as déçu, déplora-t-elle. » ou « — Je suis stupéfaite ! s’étonna-t-elle », c’est redondant.
Je terminerai ce chapitre par les verbes qu’on met en incise alors qu’ils n’y ont pas leur place. De façon générale, les verbes d’action ne sont pas destinés à la communication : « sourit-elle », « montra-t-il », « hocha-t-elle » et compagnie, au placard !
— Je survole ces dialogues, car ils m’ennuient, avoua le lecteur. Est-ce grave ?
Un dialogue doit toujours, toujours avoir une raison d’être. Quand on débute en écriture, on bascule facilement dans le bavardage stérile : les personnages qui partent dans des délires, qui tournent en rond, qui se chamaillent pour des broutilles, qui se focalisent sur des détails sans importance. À moins d’avoir la plume de Sej (notre grenouille excelle dans les dialogues absurdes à effet comique), vous risquez de lasser votre lecteur au lieu de le faire rire.
Veillez donc à ce que votre dialogue fasse toujours avancer le récit : répondre à des questions, résoudre un problème par le raisonnement, exprimer des émotions, détendre l’atmosphère ou au contraire la charger de menace, etc. Si vos personnages n’ont pas avancé d’un pouce après un échange verbal, c’est que votre dialogue est inutile.
Vos dialogues n’accrochent pas le lecteur alors qu’ils remplissent bien cette condition ? Eh bien oui, ça arrive ! Parfois, l’auteur est tellement focalisé sur l’information que doit apporter un dialogue qu’il oublie de l’adapter aux personnages. Il en résulte un échange monocorde et encyclopédique où la personnalité des locuteurs est brusquement effacée. Même quand ils contribuent à faire avancer l’intrigue, vos personnages ne cessent jamais d’être eux-mêmes. Respectez le registre de langage et de vocabulaire qui caractérise chacun d’entre eux : familier, soutenu, imagé, amoureux, etc.
Enfin, il est important de briser la monotonie du dialogue en l'entrecoupant de petites scènes de description ou d'action qui permettent au lecteur de rester incarné au milieu de vos personnages, de visualiser leurs petits gestes, leurs mouvements dans le décor, leurs changements d'expression !
— J’en ai fini avec mes dialogues, conclut Cristal. Si vous avez des questions, des témoignages, des protestations, je les recevrai avec plaisir !
Cristal
Oh, ben merci Cricri pour tous ces conseils avisés !
RépondreSupprimerAh, mais depuis le temps que je répète à mon frère (que je BL) qu'il vaut mieux utiliser les noms des personnages que leur fonction ou leur apparence pour les désigner... je suis contente de te l'entendre dire à ton tour !
En tout cas je prends bonne note de tout ça, histoire de pas faire toutes ces petites erreurs. è.é